Virginie Cady est notre sémiologue dystopique qui raconte les temps troubles que connurent l’Europe et le Monde au XXIème siècle, période appelée depuis «orwellianoscène». Elle nous explique à chaque entrée du dictionnaire dystopique, le sens perdu des mots courants.
RETRAITE
Substantif féminin du latin trahere signifiant tirer, traîner, précédé du préfixe re (exprimant le renouvellement de l’action ou ici le retour au point de départ, le mouvement en arrière).
Au cours de l’Histoire, le terme de retraite adopte une féconde polysémie qui explique la confusion des historiens actuels.
En effet, on parle de retraite aussi bien dans le cadre militaire pour indiquer le départ du champ de bataille devant un ennemi supposé plus fort : Face au formidable haka des All Blacks, les malheureux gallois n’eurent d’autre choix que de sonner une prudente retraite en direction des vestiaires. (G. Léfoy ; Un orteil dans le mixer, 2022) que de lieu de paix où se ressourcer voire se réfugier : Loin de la foule inconstante et immonde, incapable de percevoir le génie sous la beauté incendiaire de son regard de braise, le président se ressourçait volontiers, en compagnie de ses plus proches affidés, dans sa paisible retraite varoise. (C. Zène ; Un protoconsul à la plage, 2034).
Cependant, c’est sur une autre acception du terme que les historiens contemporains sont divisés. En effet, au XXème siècle, le terme de retraite aurait été employé pour qualifier une pension distribuée par l’État aux travailleurs âgés afin qu’ils vivent leurs dernières années dans l’oisiveté. Le terme aurait d’ailleurs représenté à la fois la pension allouée et l’état d’inactivité l’accompagnant. Depuis son départ à la retraite, Paul s’obstinait à ne rien faire sinon observer les oiseaux qui se posaient parfois non loin de sa chaise longue. (P. Tission ; L’égarement de Paul V. Stein, 2022).
À l’appui de cette théorie, on trouve, certes, dès le règne de Louis XIV, mention d’une telle coutume dans la marine royale. Mais plus rien ensuite jusqu’au début du XXème siècle. Les traces historiques dateraient la retraite de 1945. Cependant, outre le caractère peu crédible d’une telle mesure au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale, il semble peu probable que ladite retraite ait existé plus longtemps qu’une poignée de décennies. Il n’en est d’ailleurs plus fait mention après le milieu du Troisième Empire comme si cette acception elle-même avait été effacée des dictionnaires.
C’est d’ailleurs à la même époque que se mettent en place les mesures d’exhaustion (du bas-étazunien exhaustion ; épuisement) destinées à lutter à la fois contre la hausse des dépenses de santé et la surpopulation grâce à l’augmentation de la charge de travail en proportion du vieillissement. Louis parcourait inlassablement les rues de Paris chargé des colis qu’il remettrait bientôt à leurs destinataires. Comme le voulait les lois de l’exhaustion, il ne descendait jamais de son vélo, fût-ce pour une légère collation. À soixante ans passés, il s’estimait heureux et reconnaissant d’avoir vécu assez longtemps pour rencontrer son premier petit fils. Il était temps à présent qu’il laisse la place à la génération suivante. Et cela ne tarderait pas tant il sentait son cœur et son corps puiser dans leurs dernières réserves. (K.C. de Parthoux ; Vers l’au-delà c’est pas fini ; 2045).