Ne pas comprendre que la nomination de Gérald Darmanin, mis en cause dans une affaire où il est présumé innocent mais accusé de viol, au poste de Ministre de l’Intérieur est, sinon scandaleuse, à tout le moins problématique, c’est ne rien comprendre à la République !
Commençons par faire un point sur «l’affaire» ou plutôt «les affaires». Qu’est-il reproché au juste au citoyen Darmanin ? Il lui est reproché d’avoir, dans deux affaires distinctes, offert d’intervenir politiquement pour favoriser les intérêts de citoyennes qui l’ont sollicité pour cela : l’une pour obtenir un logement à Tourcoing dont il était maire, et l’autre pour obtenir son appui auprès de la chancellerie (en 2009) afin de faire annuler une condamnation dans un dossier contre son ex-compagnon. Dans les deux cas, le susnommé Darmanin aurait échangé la promesse de son intervention contre des relations sexuelles. En clair, il aurait eu avec ces dames des relations sexuelles contre promesse de trafic d’influence. L’une a déposé plainte pour abus de faiblesse, l’autre pour viol. La procédure pour abus de faiblesse a été classée sans suite par le parquet de Paris en 2018, celle pour viol également. Le mardi 9 juin dernier, la reprise de l’enquête sur les accusations de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance portées contre le ministre par la plaignante est ordonnée par la Cour d’Appel de Paris.
Il faut comprendre que les deux affaires ont initialement fait l’objet de classements sans suite par le Parquet en 2018.
Or, en 2018, Gérald Darmanin est ministre de l’Action et des Comptes publics dans le gouvernement d’Édouard Philippe depuis le 17 juin 2017, Nicolle Belloubet étant Garde des Sceaux et Ministre de la Justice du même gouvernement. Il a été suffisament souligné par les acteurs de la justice et les autorités internationales que le Parquet, en France, est loin d’être indépendant du pouvoir exécutif. De là à imaginer que le citoyen Darmanin a bénéficié d’intervention active ou passive dans ces dossiers, il n’y a qu’un pas que je franchis allègrement.
Le 3 juillet 2020, Édouard Philippe remet la démission de son gouvernement et s’en va pêcher le hareng au large, et creuser l’endettement du Havre où il vient d’être réélu maire. Le 6 juillet, est nommé Jean Castex au poste de Premier Ministre qui publie au J.O. la formation de son gouvernement le 7 du même mois. Dans son gouvernement fraîchement promu, Jean Castex a nommé, à l’Intérieur, premier flic de France… qui ? Bingo ! Darmanin, himself ! Avouez que moins d’un mois après la réouverture d’une enquête pour viol, c’est tout de même fort de café ! Non content, Castex nomme également à la Justice le «tonitruand» Dupond-Moretti, aka Acquitator, la terreur des prétoires, lequel s’était fait remarquer à l’occasion du procès de l’homme Tron Georges par quelques déclarations où le misogyne le disputait au sexiste, et qui, déjà à l’époque, avaient scandalisé.
Le tandem Darmanin-Dupond se voit illico pris d’assaut par tout ce que la France compte de féministes aux cris de «Darmanin violeur, Moretti complice», et l’on voit immédiatement se soulever partout en France des manifestations pour dénoncer ces deux nominations.
À l’issue de ces manifs, on a entendu tout un tas de gens soutenir le citoyen Darmanin. Certains ont même co-signé une tribune pour appeler à la présomption d’innocence qui doit bénéficier à tout citoyen mis en cause par la justice et dans un charabia insensé nous rappeler (à propos d’Acquitator) que tout individu a le droit d’être défendu, et dans de grands élans lyriques que «seule l’institution judiciaire peut dire qui est coupable ou non, et c’est un garde-fou contre l’arbitraire». Fermez le ban! Une pétition de soutien en ligne, lancée par une habitante de Tourcoing, complète le dispositif de défense du Ministre.
Lors de son discours du 14 juillet Emmanuel Macron nous a rappelé que Gérald Darmanin avait toute sa confiance et qu’il lui en avait donné le témoignage dans «une discussion… d’homme à homme» ! Une déclaration délicieusement choisie par le pompier pyromane en chef.
Bref ! On voit là comment tout se mélange, tout se bouscule, et finalement comment tout se dilue et s’emmêle dans un fatras inconsistant mais indigeste… Il convient donc de s’arrêter un moment et de se poser la question : «Pourquoi la nomination de Gérald Darmanin au poste de Ministre de l’Intérieur est une faute ?» Et pourquoi, si on ne comprend pas cela, on ne comprend rien à la République ? Enfin, comment se fait-il que seules les féministes se soient emparées de ce sujet ?
Tout d’abord à propos de cette présomption d’innocence dont les soutiens En Marche se drapent, soyons clairs : personne ne la remet en question ! Et pour cause, ça n’est pas le sujet ! Personne ne remet en cause le fait que dans l’instruction qui est en cours, le citoyen Darmanin bénéficie, comme a priori tout justiciable, d’être traité comme un innocent du crime dont on l’accuse et qui fait que le dossier doit être instruit aussi bien à décharge qu’à charge, et que tant qu’aucun juge ne l’a condamné, il est juridiquement innocent. Juridiquement ! C’est cela, et seulement cela la présomption d’innocence ! Pas une cape d’invisibilité, ni un filtre de virginité, un truc magique, qui d’un coup d’un seul, ferait que vous n’avez pas fait ce que vous avez fait. Même un assassin pris en flagrant délit le poignard dans le coeur de sa victime est «présumé innocent» tant qu’un jury d’assises n’a pas dit qu’il est coupable.
Parce que la République est un bloc, parce que celles et ceux qui portent ce bloc doivent être d’une éthique irréprochable et d’une moralité en acier massif, Emmanuel Macron a commis une erreur grave en nommant Gérald Darmanin Ministre, qui plus est de l’Intérieur. C’est plus qu’une erreur même, c’est une faute. Une faute politique et une faute morale.
On cherche donc à nous embrouiller et, quoi qu’habile, la manœuvre est assez grossière. En effet, Darmanin a tout bonnement reconnu les faits qu’on lui reproche. Ce qu’on lui reproche, c’est d’avoir profité de sa situation de mâle de pouvoir pour profiter des faveurs sexuelles d’une femme. On lui reproche d’avoir troqué son appui dans une affaire contre rapport(s) sexuel(s). On lui reproche d’avoir obtenu dans une transaction ce qui relève normalement du consentement spontané, réciproque, et libre de tout autre engagement, entre deux adultes. Autrement dit, on lui reproche d’avoir eu commerce physique avec une personne qui, s’il n’y avait eu promesse de contrepartie, n’aurait sans doute jamais donné suite à ses avances. C’est donc sans libre consentement, on peut même imaginer contre la volonté de cette femme, que cela s’est passé. Elle dit d’ailleurs elle-même dans ses dépositions qu’elle a vite senti «qu’elle allait devoir passer à la casserole».
Et c’est là que le bât blesse ! En effet, à quel moment un homme politique, permanent d’un parti à l’époque des faits, pense qu’il est légitime de faire commerce de ses relations pour obtenir ce qu’il n’aurait par ailleurs jamais obtenu ? Quand bien même celle qui lui accorderait ses faveurs serait consentante, cela n’est-il pas simplement scandaleux ? Comment peut-on imaginer maintenir en poste ou nommer Ministre un homme qui a, contre toute morale, toute éthique, échangé un potentiel trafic d’influence contre une pipe ? Et le summum, c’est de lui donner le poste de premier flic de France ! Il faut être salement pervers ou complètement liquide moralement pour croire que personne n’y trouverait à redire…
Darmanin n’a pas été nommé à n’importe quel poste, il a été nommé à Beauvau, au ministère de l’Intérieur.
Le site du ministère nous dit : «Depuis deux siècles, le ministère de l’Intérieur est au cœur de l’administration française : il assure sur tout le territoire le maintien et la cohésion des institutions du pays».
Son organisation, ses moyens humains et matériels constituent l’outil privilégié de l’État pour garantir aux citoyens l’exercice des droits, devoirs et libertés réaffirmés par la Constitution de la Vème République. Ses cinq missions essentielles s’articulent aujourd’hui autour de deux grands pôles.
• Administrer le territoire :
Assurer la représentation et la permanence de l’État sur l’ensemble du territoire national. Garantir l’intégrité des institutions publiques. Veiller au respect des libertés locales et des compétences des collectivités territoriales dans le cadre de la décentralisation.
• Garantir la sécurité des citoyens et des biens :
Élaborer et faire respecter les règles garantissant aux citoyens l’exercice des libertés publiques, notamment par le suffrage universel. Protéger la population contre les risques ou fléaux de toute nature et contre les conséquences d’un conflit éventuel.
À quel moment, un homme qui est capable d’obliger une femme, sinon par la force physique, à tout le moins par la pression psychologique, d’avoir avec lui des rapports sexuels est-il en mesure d’assurer le maintien et la cohésion des institutions ? À quel moment ce même homme est-il en mesure de garantir aux citoyens l’exercice des droits, devoirs et libertés réaffirmés par la Constitution ? À quel moment est-il en mesure d’assurer la représentation et la permanence de l’État ? De garantir l’intégrité des institutions publiques ? De garantir la sécurité des citoyens et des biens ? La SÉ-CU-RI-TÉ des citoyens et des citoyennes ? À quel moment ?
J’aimerais que les défenseurs de Monsieur Darmanin répondent à ces questions sans utiliser l’argument «ça n’est pas incompatible». Bien sûr que ça l’est ! Un homme qui n’a pas deux sous de morale, de respect de soi ni d’autrui pour se livrer à ça, ne peut pas assurer les missions qui sont les siennes comme Ministre de la République.
Parce que la République est un bloc, parce que celles et ceux qui portent ce bloc doivent être d’une éthique irréprochable et d’une moralité en acier massif, Emmanuel Macron a commis une erreur grave en nommant Gérald Darmanin Ministre, qui plus est de l’Intérieur. C’est plus qu’une erreur même, c’est une faute. Une faute politique et une faute morale.
Il a beau faire monter Castex au créneau s’égosiller pour dénoncer des «dérives inadmissibles» et secouer le tapis pour faire de la poussière, il n’en reste pas moins que cette nomination est effectivement une gifle à toutes les femmes victimes de viol, le signe insupportable d’une caste qui s’est accaparée le pays et ses institutions et se comporte, avec le plus grand des mépris pour le commun de ses citoyennes et citoyens, comme si rien ne pouvait les atteindre.
Ils se moquent de la République, ils se moquent de la démocratie, et plus que leurs lois contre les travailleurs, contre les chômeurs, contre les retraités, contre les malades, contre les soignants, c’est cette morgue, ce cynisme, ce mépris qu’ils ont pour le peuple et la République qui tous les jours en violent les valeurs fondatrices.