Harold Bernat est professeur de philosophie. Il publie «Oraison funèbre de la classe de philosophie», une analyse critique de la suppression de la série littéraire et de la modification du programme de philosophie dans l’enseignement secondaire à compter de l’année scolaire 2020-2021. Il dénonce la volonté de supprimer l’esprit critique et d’oeuvrer au désarmement intellectuel des élèves au nom des logiques de l’entreprise privée.
Propos recueillis par Marius Roux
Comment s’est déroulée ta rentrée scolaire dans ce contexte si particulier ?
J’ai été très heureux de reprendre les cours, revoir les élèves et les collègues. Les conditions sont difficiles. Faire cours avec un masque n’est pas chose facile. Les élèves étaient contents de nous retrouver. On a une situation compliquée mais on fait avec. Je suis heureuxde reprendre les cours.
Que reproches-tu spécifiquement à la réforme du lycée qui redonne «du sens et de l’utilité au baccalauréat» selon la brochure du Ministère de l’Éducation Nationale ?
C’est de la propagande ministérielle. Il n’y a plus de baccalauréat national au sens strict. En terminale, il y a un filtre de répartition : ParcoursSup. C’est cela le véritable juge de paix aujourd’hui. C’est un algorithme dont les critères restent opaques. On évalue en permanence pour trier. Le bac n’a plus aucun sens en tant qu’examen terminal puisque tout est joué avant. L’année se termine en mars en ce qui concerne la ventilation dans le supérieur. On va faire un petit écrémage en fin d’année qui n’aura que très peu d’incidences sur les orientations. Les enjeux sont sur la sélection et sur elle seule. Cette réforme transforme la première et la terminale en une sorte de «classe prépa» ou plutôt de courses d’obstacles là où les évaluations se succèdent au détriment du bon sens pédagogique et de la qualité des formations. Il y a une rupture d’égalité dans les choix des spécialités et le parcours des élèves dépend de paramètres qui ne sont plus nationaux. Cette réforme entérine de fait un contrôle continu. Dire qu’on a sauvé le bac est un jeu de communication, c’est tout le contraire. En 2019, on a fait grève tout en corrigeant les copies. Cette grève fut illisible à l’échelle nationale dans les médias de masse. Le baccalauréat tel que nous l’avons connu a cessé d’être en juin 2020. C’est fini. C’est terminé, les enjeux ne sont plus là.
Dans ton livre «Oraison funèbre de la classe de philosophie», tu fustiges les réformes successives au sein de l’Éducation Nationale. En quoi celles-ci ont mis fin à une tradition de pensée ?
Mon livre est très centré sur la philosophie mais ses conséquences sont plus larges. Ce qu’on a constaté depuis longtemps est qu’il y a une lutte au sein de l’institution, sur la philosophie et sur les programmes en particulier. J’ai commencé à enseigner en 2000-2001. En 2003, il y a eu une première réforme. Ce combat a été mené avec des universitaires qui chapeautaient tout ça. L’enjeu était déjà la question de l’introduction d’une forme de culture générale. Ceux qui tiennent les «clés du camion» sont aujourd’hui issus de Sciences Po et des écoles de commerce. La personne qui inspira la réforme du lycée s’appelle Pierre Mathiot. C’est un Sciences Po lui aussi. Lorsqu’il propose sa réforme du bac, Blanquer valide. C’est l’esprit Sciences Po qui a balayé la défunte série littéraire. Les universitaires ont été marginalisés sur les programmes. La tradition de critique sociale et de la pensée ont tendance à disparaître. Ça se joue à l’intérieur de l’institution. C’est un rapport de forces. «Les épiciers» en quelque sorte ont pris le pouvoir. Derrière ça, il y a aussi la pression de l’enseignement privé, des «certifications» quand le privé peut désormais délivrer des diplômes nationaux.
Trois associations en philosophie furent convoquées : l’ACIREPH, APPEP et la S.O.PHIE. Celle-ci est très récente et a eu les faveurs du ministère. Jean-Marie Frey est président de cette dernière et il prône une forme d’adaptation de la discipline. Le problème c’est qu’il n’est absolument pas représentatif de la profession. Ces petits groupes ont accompagné Pierre Mathiot et la réforme du bac sans aucune concertation véritable. Des consultations bidons mais aucune réflexion réellement collégiale. Là encore, comme dans bien d’autres domaines, des petits comités fonctionnent en roue libre. En 2019, 750 professeurs ont retenu les copies du bac après les avoir corrigées pour dénoncer aussi cette malversation à l’intérieur des institutions qui fonctionne comme un déni de démocratie. Mais pas seulement : il s’agit d’un transfert de compétences au profit des «groupes experts». C’est aussi cela le macronisme. Les corps d’inspection ont été marginalisés. Nos pairs sont évincés par ces petits groupes de pensée comme l’Institut Montaigne. C’est de la barbouzerie institutionnelle. Trois ou quatre individus sont capables de changer des programmes nationaux, c’est un fait.
Est-ce qu’en tant que professeur tu te sens abandonné par ta hiérarchie ?
Qu’est-ce que la hiérarchie ? Un professeur en a deux : la hiérarchie pédagogique, la hiérarchie administrative. Les inspecteurs peuvent évaluer le travail des professeurs, c’est cela la hiérarchie pédagogique. La hiérarchie administrative se résume à «est-ce que je fais mon travail ?» dans l’institution. Ce sont les proviseurs adjoints et les proviseurs qui assurent cette partie-là. On a renforcé le pouvoir de ces derniers. Ils peuvent mettre des points aux professeurs ce qui marginalise en retour le travail des inspecteurs. Un professeur docile sera mieux récompensé qu’un professeur plus actif sur le terrain social. Là encore, c’est un fait et c’est aussi le sens de cette réforme. La réforme Blanquer, en augmentant le pouvoir administratif, marginalise les corps d’inspection qui se transforment en RH en s’éloignant du rapport à la discipline. Le statut de fonctionnaire nous protège de la volatilité des responsables politiques. Maintenant, on veut des fonctionnaires qui sont des agents de service. Un bon fonctionnaire est aussi un agent de service qui fonctionne. Les proviseurs, proviseurs adjoints qui ont eu une carrière de professeurs sont de plus en plus rares. C’est de mon point de vue un gros problème. On tend vers cela avec Blanquer. De ce point de vue, oui, les professeurs sont en partie lâchés par la hiérarchie pédagogique quand il s’agit de défendre les contenus disciplinaires, gages de la qualité du travail fourni. D’un côté, les inspecteurs te disent «ne faites pas grève» et d’un autre côté, en off, ils peuvent nous soutenir dans nos revendications en disant «défendez le métier». Ils ont parfaitement conscience que leur travail n’est plus le même. L’essence même de leur métier est quasiment fini. Ce n’est, pour l’essentiel, que du contrôle administratif. À terme, c’est la fin du corps d’inspection qui se profile. La logique administrative sera toute puissante. C’est d’ailleurs ici que l’on comprend que l’État néolibéral est un État invasif d’un point de vue technocratique. Cette réorientation décisive des missions des corps d’inspection affaiblit de mon point de vue la qualité au profit de la gestion purement administrative de la chose scolaire. Et là il faut être juste, Macron n’est pas responsable de tout. C’est la gauche dite socialiste, avec Najat Vallaud-Belkacem par exemple, qui a entériné ce mouvement de fond. Dans l’Éducation Nationale, depuis bien longtemps, les mauvais coups sont faits par les gouvernements de gauche dite par usage et extension d’usage «socialiste» et la droite entérine derrière. Sous couvert d’école de l’égalité des chances, on fragilise les institutions qui peuvent protéger la qualité de l’enseignement. Elle est pourtant là l’égalité des chances : un enseignement, pour tous les élèves de la République, le plus qualitatif possible. Des syndicats se réveillent, commencent à comprendre cela, mais bien trop tard de mon point de vue.
Il est temps que la petite bourgeoisie culturelle se réveille socialement car elle n’a plus rien de bourgeoise
On assiste à une mutation violente et néolibérale avec Macron. Cette offensive vient rompre ce que l’on peut qualifier de consensus culturel sur fond de social-démocratie paritaire. Les diplômes sont garantis par l’État et les professeurs ont un rapport souvent «statophile» à ce qu’il pense être une forme de légitimité immuable. Ce système a pu fonctionner avec des compromis mais c’est terminé. Deux options : soit ne rien faire et quitter l’Éducation Nationale, soit prendre le maquis et faire des actions plus dures, plus significatives, plus conflictuelles aussi forcément : c’est ainsi que raisonnent de plus en plus de professeurs qui ne veulent pas sombrer dans la résignation. «C’est fini la balade entre République et Nation» se disent-ils. Évidemment, on entend souvent des discours du type «on a les enfants, il ne faut pas les prendre en otages». On a un discours régressif (il ne s’agit pas d’enfants mais d’élèves, d’étudiants) qui ne voit pas toujours que «la bienveillance» est un piège fatal pour les revendications sociales et politiques. On a du mal à s’inscrire dans l’action politique sérieuse tout en ayant perdu en partie la bataille de l’opinion. Je dis en partie car une part de moins en moins négligeable de la population commence à comprendre ce que signifierait à terme la démolition de l’enseignement public.
Sur le front social, les professeurs seront les grands perdants de la réforme des retraites. On a fait des simulations et on aboutit à une perte de 500-600 euros par mois, parfois plus. Là encore, c’est un fait que le baratin médiatique ne peut pas éliminer complètement. Des collègues vacataires, après des années d’enseignement, en ayant eu des interruptions de carrière, pourront se retrouver sous le seuil de pauvreté à la retraite. On a perdu cette bataille sur des revendications sectorielles. J’ai suivi le mouvement des gilets jaunes à Bordeaux. Les professeurs sont aussi issus d’une petite bourgeoisie culturelle qui ne se vit pas comme une classe sociale dominée. Les gilets jaunes ont attaqué les symboles de l’État, enfin un dévoiement de ces symboles car le mouvement est au fond très légitimiste, et pour les professeurs, ce n’est pas acceptable. J’ai été très peu engagé dans l’Éducation Nationale avant le mouvement des gilets jaunes car je ne partageais pas la grille de lecture de nombreux syndicats. Certains se sont mêmes tirés une balle dans le pied avec des revendications illisibles et beaucoup trop corporatistes. On n’a pas un pouls unifié dans l’Éducation Nationale. On a des vacataires à 600 euros par mois et des professeurs de prépa qui gagnent 5000 euros par mois. On a une frange revendicatrice chez les moins de 35 ans. Il y a des tiraillements car on a des titulaires et des vacataires. Moi je suis au dixième échelon, agrégé. Ce n’est pas moi qui serai le plus touché. Je suis davantage dans le combat politique mais je retrouve des collègues plus jeunes et déterminés sur les idées de défense du service public. Il est temps que la petite bourgeoisie culturelle se réveille socialement car elle n’a plus rien de bourgeoise. Beaucoup de professeurs sont plus près des gilets jaunes qu’ils veulent bien le penser. À eux de sortir d’un fantasme de classe et de comprendre que l’État néolibéral n’est pas le garant de leur confortable carrière de fonctionnaire. C’est fini.
Où puises-tu ta motivation pour enseigner la philosophie ?
J’aime enseigner. Je me suis orienté vers la critique. La philosophie c’est de la critique. Ça commence avec Socrate, notre maître à tous. Un esprit critique et politique qui a payé de sa vie sa radicalité philosophique. Une fois la salle de classe fermée, on peut faire des choses. Il y a encore des espaces où on peut faire des choses. Les élèves le demandent, il y a encore du désir pour la réflexion, la pensée. J’avais un petit groupe d’Extinction Rébellion dans une de mes classes. Les discussions intergénérationnelles sont fascinantes. Ils m’éduquent aussi, encore. C’était intéressant de dialoguer avec eux tout en traitant le programme de philosophie. On veut nous nasser de façon administrative, encadrer, stériliser cette liberté : «ça tu ne l’as pas fait, il faut donner des gages aux parents». L’État néolibéral oppresse de l’intérieur. C’est ce qu’explique Barbara Stiegler dans son dernier livre Du Cap aux grèves en ce qui concerne l’université (Verdier, 2020) : cette pression constante qui lamine de l’intérieur les résistances. C’est un processus administratif de contrôle qui n’a rien à voir avec la pédagogie, qui n’a pas plus à voir avec la qualité de la transmission qui devrait être au cœur de nos préoccupations. Nous avons encore une certaine liberté dans nos cours dans le cadre du programme. Il est nécessaire de se battre pour la garder. Sans cela, cette spécificité française qu’est, sous cette forme, l’enseignement de la philosophie disparaîtra. Nous perdrons tous beaucoup.
Ma motivation se trouve parmi mes élèves. Je ne veux pas faire «carrière» dans l’Éducation Nationale. D’ailleurs je récuse ce mot. Je suis professeur de philosophie et non épicier. Pour revenir aux élèves, ils me nourrissent aussi intellectuellement. La philo est un cours libre mais un pouvoir managérial n’en veut plus ou plutôt à la marge de la marge. Trop politique, trop libre. Des professeurs comme moi, ils n’en veulent plus. C’est aussi un fait. Quand je dis cela, je ne me singularise pas, nous sommes aujourd’hui nombreux à sentir cette pression latente mais constante. La figure du professeur fonctionnaire libre, avec un statut protégé, est intolérable pour des managers qui veulent la caporalisation et une forme de docilité. Un professeur fragilisé dans sa situation administrative a aussi une parole moins libre. Tout cela se fait au détriment des élèves. Quand tu places un professeur mal formé, avec à peine une licence, devant une classe de 35, c’est très souvent une catastrophe à l’arrivée. Au fond, l’Éducation Nationale est pensée aujourd’hui à partir du contrôle social, certainement pas en fonction de l’intérêt général. Nous n’en serions pas là si ce n’était pas le cas. C’est un cynisme absolu et cela se fait avec une désinformation totale. Le public ne sait pas qu’un surveillant inscrit en licence 1 de philosophie peut faire un remplacement en lycée et ce n’est que le début. Le CAPES a été massacré, là aussi en termes disciplinaires.
Sommes-nous face à un désengagement de l’État qui recrute des précaires dans l’Éducation Nationale ?
Ce n’est pas un retrait de l’État. Bien au contraire c’est une réorganisation des missions de service public. Pour faire de la formation sur des missions dont l’intérêt pédagogique est illisible, là il y a des moyens. Les missions sont chronophages et dociles. Ce sont des manœuvres à l’intérieur de l’Éducation Nationale qui visent une réorganisation du travail. C’est cela le néo-management public. Récemment, on a été managé par des barbouzes qui tirent profit de l’affaiblissement voire de la compromission de certaines structures syndicales. L’épisode de la grève lors du bac 2019 fut une épreuve grandeur nature. On avait les notes mais nous nous sommes mis en grève. Ce n’était pas de la rétention mais un mouvement social. Ce n’est pas la même chose. Jean-Michel Blanquer est passé en force et a imposé le contrôle continu. Il a cassé la grève, certes, et n’a pas ouvert de négociations. Mais, il a surtout montré que la logique de mise au pas était plus forte que toutes les considérations supérieures d’intérêt général. Un professeur dans l’Éducation Nationale n’est pas le bras exécutant d’une politique ministérielle, et c’est aussi pour cela que son statut doit être protégé ; il est au service de l’intérêt général et il produit de la richesse. Cibler le professeur en difficulté pour qu’il rentre dans l’ordre ce n’est pas une pratique qui faisait partie des us et coutumes de l’Éducation Nationale. En ce sens, le fond de l’air a changé. C’est une modification profonde de l’intérieur. L’État se modifie et se retourne contre l’intérêt général. D’aucuns diront que l’État ne peut être que l’État du capital. J’estime que dans une République, qui placerait la santé du corps social au-dessus de tout, les intérêts financiers de cliques n’auraient pas droit de cité.
Je te vois très actif sur Twitter et tu postes régulièrement ta pensée sur le contexte actuel. Quel adjectif utiliserais-tu pour le qualifier ?
Ce que j’observe par rapport aux mouvements sociaux, c’est la fin du consensus social-démocrate. Pendant des décennies, le capital arrivait par le biais de stratagèmes, avec les syndicats, à contenter une classe moyenne, une petite bourgeoisie. Ce consensus ne marche plus. L’État néolibéral ne négocie plus. En un sens, il n’en a plus besoin et assume brutalement des intérêts financiers privés qui ne se cachent même plus. On est dans une phase révolutionnaire larvée. Deux conséquences : soit le modèle aujourd’hui au pouvoir gagne en éliminant les franges les plus politisées ; soit il n’y arrive pas et cela craquera. J’ai du mal à voir une solution politique en l’état. L’État néolibéral casse tout ce qui peut faire du politique. On est dans le dur et on ne sait pas où on va. J’aimerais voir émerger une souveraineté populaire, pas simplement des figures. On ne va pas rester dans ce blocage en continu. On verra le cours de l’Histoire et il nous surprendra certainement.
J’ai vu avec la rentrée un certain abattement du personnel. On a à la fois une radicalisation et un abattement. Notre modèle de lutte est en partie épuisé. On est allés au bout et on est à bout. Comment résoudre l’issue ? Je ne sais pas. Est-ce qu’on peut peser politiquement contre les intérêts privés qui veulent toujours maximiser le profit ? C’est ce qu’a tenté de montrer le mouvement des gilets jaunes. Le truc qui tenait dans le consensus social-démocrate ne marche plus. Soit on est dociles, soit on prend le maquis pour faire mal et porter le coup. Pendant la grève du bac, on a bloqué. On a été obligés de le faire pour se faire entendre. Et encore.
Comment vois-tu l’issue à cette période qui paraît si incertaine ?
La première question est politique. Comment peut-on faire politiquement pour fédérer tous ces mouvements ? Je parle de République sociale sans oublier que celle-ci n’a de sens que dans une démocratie vivante. Ce qu’on a en commun, c’est le service public issu aussi de la résistance et dont on ne peut cacher l’histoire communiste. Une histoire totalement refoulée, occultée. Si le tissu social se dégrade, notre vie se détruit. Est-ce qu’on arrive à construire des liens politiques forts pour fédérer tout ça ? Cela suppose un consensus idéologique. Mais il n’est pas là, pas encore. Chacun tire à droite, à gauche en fonction de ses intérêts. On l’a vu à l’université. Par exemple, tu vas te retrouver en face d’étudiants précaires qui ne mangent pas à leur faim (une catastrophe pendant la période de confinement) alors que tu manifestes pour ta retraite. Cette division fait le jeu du pouvoir en affaiblissant les mouvements sociaux alors que la logique de précarisation se décline du haut en bas de l’échelle sociale. Il faut renouer avec ce travail politique et aller sur le terrain pour comprendre les choses. Le vrai travail est latéral, avec les gilets jaunes, professeurs, vacataires et précaires. Nous avons eu des échanges très puissants et cette tendance va s’inscrire dans la durée. Si on prend le long terme comme visée, on peut l’enclencher maintenant et obtenir des effets. Mais les échéances sont courtes. On pense déjà à 2022. La démolition du service public est quelque chose de profond qui demande une analyse fine et située. Il y a un vrai enjeu pour la gauche sociale. C’est mon diagnostic politique. On ne veut pas de la République néolibérale et on doit retrouver la Res publica, cette chose publique. On doit instituer politiquement quelque chose de commun. Jean-Luc Mélenchon a porté un discours dans ce sens-là qui touche une grande partie de la jeunesse et il faut lui être gré du mouvement inauguré en 2017. Il est fort politiquement, il a créé un enthousiasme mais son modèle d’origine est social-démocrate avec un fond de dirigisme. On met le chef en haut et tout le monde va suivre. Une pastorale. Moi je n’y crois pas à cette figure-là. Le moment politique n’est pas favorable mais nous avons des mouvements sociaux profonds. Je fréquente politiquement des soignants. Ces convergences sont nouvelles pour moi. Avant, on ne se parlait pas du tout. La République sociale est forte au-delà des positions à gauche. Ce qui est plus lent est plus solide.
Que doit-on faire face à cet État prédateur ?
Il y a notre rapport à l’État. Je peux discuter avec la droite républicaine sur le terrain social. Il y a un vrai travail à faire sur la question de la République, de son histoire, de ses luttes. On a perdu la bataille idéologique sur cette question de la République, car la gauche depuis quarante ans a cherché à négocier sans comprendre que la logique du capital est incompatible avec les exigences d’une République sociale. On a donc sacrifié la seconde. Ce n’est pas plus compliqué. On n’a pas de lieu pour se réunir. On doit passer par une forme d’institutionnalisation nationale pour se retrouver, en ce sens je n’oppose pas le national et le local. On ne peut pas construire une République sociale en venant d’un haut. Il faudra fédérer autour de ça. On est dans cette élaboration-là. Mais c’est dur. On continue le combat sur un terrain aujourd’hui politique et stratégique.