Julien Aubert est député de la 5ème circonscription de Vaucluse et conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Aujourd’hui, beaucoup se réclament du gaullisme. Qu’est-ce qui pour vous résume le mieux l’héritage du général de Gaulle ?
Pour moi, le gaullisme, c’est la capacité de ne pas renoncer, c’est le sursaut, c’est l’idée que la volonté politique est importante pour faire face au tragique de l’Histoire. C’est une volonté politique guidée par une boussole particulière, celle de permettre l’épanouissement de l’homme dans toutes ses composantes et pas seulement la composante matérielle, la composante intellectuelle et spirituelle aussi. Et enfin, cette boussole, c’est la nation, le cadre dans lequel peut s’épanouir la démocratie et la République.
Le concept de nation est attaqué de toutes parts, comment en est-on arrivé là ?
On en est arrivé là, parce qu’après le départ de de Gaulle et l’évolution intellectuelle des années 1970-1980, la pensée économique a pris le pas sur la pensée politique, poussant les gouvernants à soustraire la sphère économique de toute décision étatique, en faisant mine de troquer le bonheur économique contre tous les autres bonheurs. C’est à dire, qu’on a dit tacitement au peuple «vous aurez moins de pouvoir politique mais vous allez y gagner en tant que consommateurs». Cette grande proposition adossée à la mondialisation a malheureusement conduit à la disparition d’une partie de la classe moyenne occidentale. Les consommateurs se sont rendus compte qu’ils avaient été des dupes – c’est ce qui est arrivé avec la crise des Gilets Jaunes – n’ayant plus de souveraineté politique et pas plus de bonheur économique, d’où ce malaise.
Et puis, de l’autre côté, une élite a profité de la transformation du système économique, qui s’est progressivement émancipé de la nation, et qui a considéré, pour partie, que toute personne remettant en cause les règles d’airain était une personne dangereuse. Ces élites ont finalement plus en commun entre elles au-delà des frontières qu’avec leur propre base, les classes moyennes, populaires de leur pays. Il y a une tentation de dire que toute personne qui souhaiterait parler au nom du peuple serait un «populiste» et qu’il faudrait se méfier des «non-sachants» qui voudraient réorienter la politique.
Les élites, ce terme concerne toutes tendances politiques, est-ce que la droite populaire n’a pas fait la même erreur que le parti socialiste en se coupant de sa base ?
Oui, totalement. Jacques Chirac était plus un pragmatique qu’un idéologue. Il a eu des cornacs successifs, et a fini par embrasser la révolution thatchérienne, ce qui a conduit à une division au sein de l’ancien RPR. Et puis, il a poussé le traité de Maastricht, ce qui a provoqué et acté la rupture. Ceux qui ont perdu ce débat interne étaient ceux qui restaient attachés à l’ancienne droite populaire, en tout cas, au gaullisme, et donc, ils ont disparu progressivement du champ politique. Après Chirac, les vainqueurs ont prospéré sur son héritage, sans se poser de questions sur les choix économiques faits par le passé, ni la mondialisation de leur pensée, ni de pourquoi ils étaient progressivement désertés d’une partie de la population. Il y a aussi eu des leaders charismatiques, je pense à Nicolas Sarkozy, qui a su récupérer une partie de ces classes populaires, en jouant sur les aspects sécuritaires et une sublimation de l’identité nationale. La droite s’est «UDFisée», et n’a pas su voir qu’une partie de son électorat populaire avait beaucoup souffert et se tournait vers des solutions plus radicales.
Je ne suis pas un castor, je n’ai pas l’ambition de faire un barrage, en revanche, il s’agit de faire naître une autre proposition politique que celle de Marine Le Pen ou Emmanuel Macron
Les solutions plus radicales, c’est le Front National de Jean-Marie Le Pen, puis le Rassemblement National de sa fille : tout le monde a joué avec ce parti, l’assurance d’être élu au second tour et de mobiliser des électeurs par dépit. Aujourd’hui, cette assurance vole en éclats et la machine semble s’emballer ?
En réalité, Marine Le Pen est un géant aux pieds d’argile. Un géant, parce qu’elle bénéficie d’un matelas électoral qui lui permet d’accéder au second tour, parce qu’elle a su solidifier son assise. Mais ses postures différentes, ses cornacs différents, ses changements idéologiques masquent un manque de vision stratégique. Le RN prospère sur des positions contradictoires adressées à des clientèles différentes. Ses limites, qu’on a pu voir lors du débat de 2017, font qu’elle est un mauvais leader. Tant qu’elle sera là, tant qu’il y aura la franchise «Le Pen» qui la rattache aussi aux errements de son propre père, le RN n’arrivera pas à passer la barre fatidique des 50,1%. C’est une fragilité.
Soit je me trompe, elle peut gagner et dans ce cas là, elle souffrira d’une absence de programme et de cohésion, soit elle perd et elle n’aura une fois encore servi qu’à reconduire ses adversaires. Il ne s’agit donc pas d’arrêter Marine Le Pen, je ne suis pas un castor, je n’ai pas l’ambition de faire un barrage, en revanche, il s’agit de faire naître une autre proposition politique que celle de Marine Le Pen ou Emmanuel Macron.
C’est dans cette ambition que vous avez créé «Oser la France» ? Quel est le but de ce mouvement ?
L’idée est de réveiller la nation en poussant un cri d’alarme : oser son pays, aimer son pays est devenu une transgression ! Si nous avons choisi «Oser la France» c’est bien pour montrer qu’on peut oser croire que ce pays a un avenir. Trop de gens pensent que la France n’a plus d’avenir. Soit qu’ils souhaitent la voir dissoute dans un bain européen ou un bain mondialisé, soit qu’ils nous expliquent que la nation n’existe plus, qu’il faudrait lui substituer des tribus, des clans, des communautés.
La première étape, c’est d’abord une prise de conscience que la France, en tant qu’entité plurimillénaire, risque de disparaître, si on ne la protège pas, si on ne la fait pas vivre, si on ne la protège pas contre ses adversaires extérieurs et intérieurs.
Ensuite, il s’agit de réveiller la droite. L’idée d’«Oser la France» est de réorienter les Républicains vers le sillon qu’ils n’auraient jamais dû quitter, celui du gaullisme, et qui mécaniquement amènerait Marine Le Pen à reculer, puisqu’elle ne sera jamais l’héritière de ce courant de pensée.
Enfin, tendre la main à ces Républicains de l’autre rive, tout aussi orphelins, parce que coincés entre une social-démocratie macronienne, qui en réalité est l’idiot utile de la mondialisation et de l’autre côté des islamogauchistes qui ont une vision particulière de la nation. Même si les désaccords existent sur des sujets sociétaux, l’essentiel est là : nous croyons tous en une nation, une certaine idée de la France, de l’État, à la nécessité de protéger la République et de dépasser les clivages, pour défendre cet héritage.
La volonté d’«Oser la France» était d’être un objet gaulliste non identifié, avec des gens de tous bords, qui soient distants des Républicains, mais présents au sein des Républicains, c’est un think-tank et un mouvement politique qui vise à régénérer le débat démocratique.
Il y a beaucoup d’initiatives en ce moment. Derrière l’idée du rapprochement des Républicains de gauche et de droite, il y a aussi l’idée du souverainisme. Est-ce que pour le débat de l’élection présidentielle de 2022, il va falloir poser la question de l’Europe et du Frexit ?
Je n’aime pas beaucoup l’idée de souverainisme parce qu’elle vient du Québec et renvoie à l’idée que nous serions la province d’un État confédéral, ce que nous ne sommes pas.
Et je me méfie des mots en «isme» parce que souvent ils aboutissent à des excès, à part peut être gaullisme – et encore, vous avez dans ce courant des gens qui ne voient le présent qu’avec les lunettes du passé.
2022 c’est évidemment une très grande échéance. Elle a le mérite d’exister, elle a le défaut d’être très proche de notre moment actuel. Or il n’y pas eu encore cette recomposition politique. Je souhaitais que les Républicains aient cette logique pour jouer un rôle plus important pour 2022, c’est pour cela que je m’étais présenté à la présidence.
En ce qui concerne l’Europe, on en débattra lors des universités d’été d’«Oser la France». Moi, je ne souhaite pas le Frexit, parce que je crois que l’Union européenne a été mal construite, mais que nous avons besoin d’une coopération au niveau du continent, pour pouvoir peser sur certains sujets internationaux. Je ne crois pas que c’est en dévastant l’existant qu’on arrange les choses. C’est une erreur de croire que la France toute seule, sans alliés, ce serait une bonne idée. On peut élargir son cercle d’amis : nous devons nous concentrer davantage sur l’Afrique, se rapprocher de la Russie, pousser des accords avec le Mexique ou le Japon quand cela est utile. On doit provoquer une crise européenne pour l’obliger à se remettre en cause. Cette crise va arriver de toute façon. Je ne suis pas certain que l’euro survivra à une crise économique ni que l’UE telle qu’elle existe aujourd’hui soit capable de survivre aussi.
Néanmoins, il y a une différence entre une vision pessimiste de l’organisation actuelle et vouloir absolument précipiter sa chute car les dommages politiques et économiques qui y seraient liés seraient extrêmement importants et celui qui aurait provoqué cette chute, serait rendu comptable de ces effets alors qu’en réalité, la vraie responsabilité se situe en amont, dans ceux quoi ont conduit au pas de charge la construction de cette entité fédérale que les peuples ne voulaient pas.