La France traverse une période trouble. L’économie qui repose sur la dette infinie est malade. Le productivisme et le consumérisme détruisent l’humain et la planète, et les inégalités de richesse sont à leur paroxysme. Ajoutez à cette équation complexe une crise sanitaire et une crise identitaire, il ne manquait plus qu’un acte de barbarie se référant à l’Islam pour mettre le feu aux poudres !
Selon Freud, la religion a une triple fonction :
– elle éclaire sur l’origine et la formation de l’univers
– elle assure la protection divine et la promesse du paradis
– elle donne à ses adeptes un système de pensée et un code de conduite.
Selon Freud, la religion doit son influence à sa deuxième fonction, car «elle apaise les craintes et nourrit les espoirs d’un être confronté à sa finitude et à sa misère existentielle».
Ainsi, selon lui, c’est sur ce rôle que la science ne peut pas rivaliser avec la religion.
Après la Révolution française, à la suite de la décapitation du Roi de France, et à l’affaiblissement du rôle de l’Église catholique, deux mouvements vont se développer pour combler la place laissée par la religion. Ces deux mouvements ont façonné le monde dans lequel nous vivons.
Le premier mouvement se développe grâce à la création de la Banque de France par des banquiers privés, et dont Napoléon et ses proches seront les principaux actionnaires. Le nom donné à cette institution est trompeur car la banque est privée, et ne sera nationalisée qu’en 1945 !
Le deuxième mouvement est celui de l’industrialisme, philosophie portée par Saint-Simon, et appuyée par Auguste Comte. Leurs réflexions sur le passage de l’âge théologique et féodal à l’âge positif et industriel, s’appuient sur la fameuse loi des 3 États énoncée par Auguste Comte.
Selon ce courant, le mode de pensée qui repose sur la religion et la philosophie, qui remplissait son office de manière très utile avant la Révolution française, ne peut désormais plus maintenir l’unité de croyance entre les individus qui rend possible la cohésion sociale.
Il fallait donc combler le vide laissé par la religion et la philosophie, en s’appuyant sur la science, censée améliorer nos conditions de vies matérielles, et approfondir nos connaissances sur les mystères de la vie, afin d’apporter bonheur et guidée au monde.
Paradoxalement, les penseurs du début du XIXème siècle, en voulant libérer la société de la religion, vont lancer un mouvement quasi messianique : la science mettra fin à un ordre religieux considéré comme mauvais et instaurera un ordre nouveau dans la justice et le bonheur.
Cette voie suivie par les penseurs et les scientifiques du XIXème siècle va accélérer les connaissances scientifiques, le progrès industriel, et fera rentrer l’Homme dans une ère nouvelle, celle du matérialisme censé apporter le bonheur.
Les conditions matérielles s’améliorent, la médecine fait des progrès considérables, et l’espérance de vie augmente de plus en plus. Mais qu’est-ce qu’une dizaine d’années de gagner face à l’éternité ? Pas beaucoup pour certains.
C’est à ce moment que la finance, dont le développement a été accéléré par la création de la Banque de France, entre en jeu, en permettant à ceux qui accumulent l’argent de conjurer l’angoisse de la mort.
Non seulement les banques financent le développement scientifique et industriel, mais elles financent aussi les conquêtes coloniales dans un double but : un rôle messianique pour convertir les indigènes au «progrès», et au passage extraire et ramener au pays les matières premières.
Mais la finance ne permet pas seulement l’expansion spatiale. Dans une illusion qui est au cœur de sa construction, la finance offre l’espoir d’une conquête temporelle, et pourquoi pas de la vie éternelle, selon l’équation qui lui est propre : «le temps, c’est de l’argent».
Extrait tiré de «Capitalisme et pulsion de mort» de Bernard Maris, Gilles Dostaler
Selon l’économiste Bernard Maris : «En cherchant à accumuler de l’argent, les gens cherchent à accumuler du temps. La recherche de la croissance infinie, éternelle, est une recherche de la vie éternelle».
Ainsi, pour combler le vide laissé par la religion à la suite de la Révolution, nos aïeux ont misé à la fois sur la science qui mène au progrès matériel censé apporter le bonheur, mais aussi sur la finance, qui nous permet de défier la mort en accumulant de l’argent, donc du temps.
Et comme cela n’était pas assez, au XXème siècle, nous sommes entrés dans l’ère technologique. Celle de l’optimisation à grande échelle qui nous permet de gagner du temps dans la course à la vie. La technique en accélérant le rythme de nos vies, est aujourd’hui sacralisée.
Selon le philosophe Jacques Ellul : «Le sacré autrefois était toujours dans la nature, maintenant la nature est tout à fait désacralisée, et c’est la technique qui apparaît à l’homme moderne comme sacrée».
Ainsi, notre mode de vie moderne a été construit sur l’espoir de combler le vide laissé par l’Église, celui d’apaiser les craintes de l’homme face à sa finitude. Nous avons voulu donner à la science, au matérialisme, à l’argent, et à la technique un caractère sacré.
Dans notre quête folle de sens, nous avons sacralisé le matériel et l’argent, tout en mettant en danger l’homme et la nature.
Le matérialisme couplé à l’amour de l’argent a fait de nous des hommes pressés de posséder, quitte à exploiter d’autres hommes ou à détruire la nature.
Ce que nous appelons «capitalisme», à tort, n’est pas seulement les excès liés à la fructification du capital par l’exploitation des masses. C’est à mes yeux ce que je viens d’exposer : la substitution d’un sacré divin par un sacré matériel et financier.
Le «capitalisme» vit une crise profonde, qui coïncide avec une recrudescence de la quête de sens. Cette quête peut prendre des formes différentes : un retour vers la religion pour certains ; d’autres cherchent des alternatives en pensant à des modes de vie détachés du matériel.
Si la France vit encore plus intensément ce tournant historique, c’est sûrement parce qu’elle a initié ce mouvement messianique au XIXème siècle. Il est évident que l’idée des 3 états d’Auguste Comte est un échec cinglant. Nous sommes en train de vivre la fin d’un régime.
En général, la fin d’un régime se passe dans le désordre et le chaos, pour la simple raison que les privilégiés du système n’ont aucun intérêt au changement. Les médias sont un outil puissant pour fabriquer les opinions publiques.
Face à son échec évident, le régime va jouer sur les divisions en espérant un chaos qui l’absoudra de ses propres dérives : rien de mieux que fomenter des guerres fratricides destructrices humainement et matériellement, pour être en mesure de renaître de ses cendres.
Le matérialisme financier a besoin de détruire pour reconstruire : le matériel est sa seule raison d’être. Lorsque le matériel est en abondance, rien de mieux qu’une crise et une guerre pour créer le manque, et ainsi se régénérer.
C’est ce que certains appellent la réinitialisation. Elle est en cours.
Le virus est une aubaine qui permet d’accélérer ce «reset».
Les flux migratoires, conséquences du colonialisme messianique, amplifiés par les guerres du XXème siècle, transforment nos sociétés.
Ironie du sort, alors que le virus et les flux migratoires sont directement liés à notre modèle capitaliste, ces deux phénomènes sont instrumentalisés par la finance et les médias pour donner une seconde vie à un système en mort cérébrale.
Nous ne gagnerons rien du désordre. Pour l’éviter, il faut d’abord être conscient de nos erreurs passées : la science et le matériel ne doivent pas être sacralisés.
Il faut laisser d’autres modes de pensées s’exprimer, en les encadrant, sans chercher à tout prix à les étouffer.
Il faut laisser une place à l’expression de la foi et à la métaphysique. La laïcité est le cadre idéal pour permettre à ceux qui le veulent, de trouver une alternative au matérialisme qui est en plus néfaste pour notre planète.
Ensuite, il faut mettre au pas la finance qui en voulant accélérer le temps, détruit l’homme et la nature. Pour cela, il faut que les sciences sociales et la philosophie participent activement à la pensée économique qui a été prise en otage par la logique mathématique.
Nous avons une opportunité historique unique : celle de pouvoir changer de régime grâce à la réflexion et l’unité, et d’éviter de passer par le chaos et le désordre. C’est possible, il suffit d’y croire, et d’y contribuer chacun à notre manière, pour ne pas vivre de regrets.
- Anice Lajnef