Retour en 2016 : Emmanuel Macron, jeune pousse fringante de la politique française fraîchement démissionnée du ministère de l’Economie, annonce la création de son mouvement politique : «En Marche !». Derrière ce nom imaginé par le publicitaire Jacques Séguéla, la promesse est simple : dépasser les clivages droite-gauche pour proposer une façon nouvelle de faire de la politique, centrée sur la raison et le pragmatisme. Libéral, progressiste, opposée aux extrêmes et au conservatisme ; la formule a plu à l’électorat français qui lui a donné les clefs de la boutique France pour les cinq années à venir.
Cette façade progressiste, qui consistait à prendre le meilleur de la gauche et de la droite pour redresser un pays enfermé dans une situation de crise s’appuyait sur une autre promesse : intégrer des gens dits de la «société civile», censés être des experts dans leurs domaines professionnels.
Ce qui s’apparentait à un renouveau de la vie politique française a en vérité une saveur d’ancien plat réchauffé. L’historien Pierre Serna, professeur des universités à Paris I Panthéon-Sorbonne et autrefois membre puis directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française a écrit un ouvrage, La République des girouettes. 1789 – 1815 et au-delà. Une anomalie politique française, la France de l’extrême-centre. Il va étendre ce concept dans un autre ouvrage : L’Extrême Centre ou le poison français : 1789-2019.
Derrière ce concept relativement nouveau, la proposition de Pierre Serna est de mettre un mot sur la méthode de gouvernance qui traversa la France du Consulat à la Restauration. Suite aux épreuves politiques qui ont traversé la France des suites de la Révolution, marquée par des changements abruptes de politiques et de méthodes de gouvernement, la classe politique française d’alors devait chercher à se redéfinir continuellement pour s’attirer les bonnes faveurs des français. Sans rentrer dans le détail des travaux de M. Serna que je vous convie à lire de toute urgence tant ils sont passionnants, retenons que durant cette période historique, le politique désireux de traverser les régimes se métamorphosait en technocrate qui fera fonctionner les institutions par-dessus les clivages. Loin des conflits droite-gauche d’alors, il ne prend parti pour aucun camp, se définissant comme personne de bon sens, compétente, modérée et uniquement préoccupée par l’intérêt général.
Cette brève présentation devrait en effet vous faire penser à quelqu’un, ainsi qu’à sa majorité. En effet, Emmanuel Macron et ses adeptes vinrent aux électeurs en 2016 et 2017 avec cette promesse d’une majorité d’experts car venant de la société civile, et non-professionnels de la politique comme c’était le cas jusqu’ici. Sa volonté était de ringardiser le clivage gauche-droite pour faire valoir une proposition nouvelle (mais pas tant que cela) : le pragmatisme, qui consistait en une approche rationnelle et modérée de la vie démocratique du pays.
Mais là n’est pas tout le sel de la conceptualisation de Pierre Serna. Derrière son analyse historique se démarquent les traits caractéristiques d’un régime d’extrême centre, qui nous révèlent beaucoup de choses, et sur notre histoire politique française, et sur la période actuelle que nous traversons.
D’après ses travaux de recherche, un régime d’extrême centre se propose aux français pour sortir d’une crise politique et globale. Il se vante de mettre en œuvre une politique orientée par les principes du libéralisme économique, conduite par un exécutif autoritaire. Pour M. Serna, il se décompose en trois points : «le girouettisme», la modération rationnelle du juste milieu, le républicanisme a-démocratique. Il se veut être le pourfendeur de la démocratie traditionnelle, centrée sur une opposition entre la droite et la gauche et héritée de la Révolution française. Face à cette composition historique de la vie politique française, la proposition faite est de mettre en œuvre une promesse de rationalité, technocratique, voire dépolitisée, face à laquelle les opposants les plus radicaux seront immédiatement qualifiés d’extrêmes, pour les décrédibiliser et donc les réduire à l’impuissance.
Son analyse se poursuit jusqu’à la composition de cette offre politique. Les acteurs de ce rassemblement sont issus pour l’essentiel des institutions de l’État, ou des catégories socioprofessionnelles supérieures. Ces institutions seront tournées à l’avantage du régime en place pour incarner un pouvoir autoritaire, qui ne se préoccupe peu ou pas des velléités démocratiques des citoyens.
Le schéma d’apparition est toujours le même au fil de l’Histoire selon les travaux de Pierre Serna : une crise politique et sociale survient ; crise face à laquelle ce mode politique apparaît pour en faire miroiter la sortie. Se construit alors un rassemblement autour d’une figure charismatique, jeune pour marquer une forme de rupture avec la politique traditionnelle, qui va chercher à réunir des acteurs politiques et économiques d’horizons différents, dans l’optique de proposer un programme «responsable et rationnel», aussi bien sur le plan économique que sur celui du libéralisme sociétal, afin d’avoir les bonnes faveurs de la gauche comme de la droite. Il se dit à l’écart de toute idéologie, en faisant valoir une forme de modération dans sa parole publique.
Une fois aux manettes, il va renforcer de manière autocratique son pouvoir, au détriment des chambres parlementaires, au motif que les réformes à engager son techniques. L’exécutif devient le centre d’organisation et des décisions du pouvoir : tout émane de lui, il est plus que jamais centralisé et concentré. Le Parlement muselé par une majorité aux mains de l’exécutif, l’opinion publique éclatée par les réformes toutes plus explosives les unes que les autres, les seules relations entre les gouvernants et les citoyens résident dans une communication verticale et institutionnelle, la manifestation, les échéances électorales (et selon les régimes les référendums plébiscitaires).
Si on rattache ce concept à notre période actuelle, nul doute que la transcription sur Emmanuel Macron et la majorité En Marche reste intacte. Toutes les cases sont cochées, du climat de crise politique et économique jusqu’à l’exercice autocratique du pouvoir, en passant par la promesse d’un renouveau technocratique, pragmatique et rationnel, appuyé par une composition de la majorité faite de spécialistes de leur domaine. Ce concept, très sérieux car sujet à des travaux scientifiques minutieux, approfondis par d’autres auteurs, témoigne de la dérive extrémiste du régime jupitérien d’Emmanuel Macron.
Les crises de ses godillots à l’Assemblée et dans les médias, tendant à qualifier d’extrémiste toute opposition venant de la droite comme de la gauche, attestent de cette volonté d’ostraciser aux yeux de l’électorat les autres propositions politiques, afin de rester seul maître à bord d’un navire qu’il coule lui-même. Pis encore : son projet de réforme constitutionnel, dans sa première version (avant l’abandon de l’examen du texte des suites de l’affaire Benalla), visait à réduire significativement les pouvoirs du Parlement, et au sein de celui-ci la parole de l’opposition. La volonté politique d’astreindre le pouvoir législatif à obéir à l’exécutif est manifeste, pour ne pas dire dangereusement éloquent quant à la véritable qualité de cette majorité prétendue «modérée».
Les relais entre gouvernement et gouvernés sont verticaux : en outrepassant les partenaires sociaux, et en faisant fi des revendications lors de manifestations qui furent tout sauf sporadiques durant ces quatre années, la parole présidentielle a gagné en verticalité : le Président décide, l’Assemblée acquiesce, le peuple n’a que le droit d’accepter.
Avec une majorité faite de girouettes, comme le démontrent les nombreuses vidéos retraçant les retournements de veste de ceux qui aujourd’hui figurent au gouvernement ou à l’Assemblée Nationale ; une modération rationnelle du juste milieu en se faisant le parangon d’être la synthèse parfaite de la droite et de la gauche ; un républicanisme a-démocratique incarné par des lois toujours plus liberticides, voire un exercice du pouvoir autocrate ; le doute plane de moins en moins.
Dès lors, il devient nécessaire de traiter ce pouvoir pour ce qu’il est : un extrême. Au même titre qu’il existe une extrême droite et une extrême gauche française, il y a en France un extrême centre, incarné par la République en Marche, parti qui désire plus que tout faire de notre pays un espace monopolistique en faveur de ses cadres. A l’instar de la façon dont sont traités les extrêmes droite et gauche dans notre pays, la République en Marche doit bénéficier du même traitement : une opposition franche de la part des français qui croient encore en la démocratie ; une ostracisation par les associations et médias qui profitent encore d’une indépendance et liberté éditoriales ; une poussée envers les cadres de ce parti à assumer ce positionnement qui n’est ni neuf, ni rationnel, ni pragmatique, mais purement dogmatique et creux.
- Zakaria Arab
Crédit : RT en Français