Au lendemain d’une nouvelle baisse violente des bourses européennes, Christine Lagarde annonce : «Les temps extraordinaires nécessitent une action extraordinaire. Il n’y a pas de limites à notre engagement envers l’euro. Nous sommes déterminés à utiliser le plein potentiel de nos outils, dans le cadre de notre mandat».
La BCE vient de décider d’injecter 750 milliards d’euros créés à partir d’un clavier d’ordinateur de Francfort, pour sauver un monde financier au bord de la faillite, suite à dix ans de laisser-faire et de spéculations.
Dans un monde normal, le bon sens voudrait que ces 750 milliards d’euros d’utilité publique servent directement les gens ordinaires, leurs entreprises, et pour finir l’État qui doit faire face à une crise sanitaire et économique majeure.
Je viens de décrire le bon sens. Maintenant, je vais vous décrire la triste réalité.
L’argent créé ne peut pas être envoyé directement de la banque centrale européenne vers les comptes des gens ordinaires, des entreprises, et de l’État. Les traités européens ne le permettent pas, ou plutôt l’interdisent.
La raison est simple : nous vivons dans une économie de marché qui a décrété que la meilleure façon d’allouer cet argent nécessaire pour notre survie est de faire transiter cet argent par les marchés financiers.
Cette croyance tenace, quasi-religieuse, repose sur un dogme économique nourri par les économistes du sérail : la fameuse «efficience des marchés». L’efficience des marchés est une théorie d’investissement qui soutient qu’il est impossible de «battre le marché». Donc les 750 milliards d’euros doivent impérativement passer par les marchés financiers.
Comme en 2008, la population se fait du souci pour l’économie et l’emploi. Cette crise ajoute aux angoisses d’argent, une autre angoisse puisque nous faisons face à une crise sanitaire sans précédent.
Nos routines sont bouleversées et notre train de vie confortable n’est plus un acquis. Et cela nous attriste, nous pèse collectivement. Tout cela nous nous tétanise, et il devient difficile de questionner les décisions politiques et monétaires décidées dans l’urgence : «ceux qui nous dirigent, doivent savoir mieux que nous».Au même moment, le monde bancaire et financier est au bord du gouffre suite à 10 ans de spéculation financière qui ont créé une bulle boursière énorme.
L’imprévisible coronavirus est l’aiguille qui a fait exploser cette bulle. Les marchés sont devenus fous !
La finance est au bord de la rupture, dans un coma artificiel, maintenue par l’argent magique injecté les semaines précédentes. Le coronavirus et la peur qui nous traverse sont une aubaine pour la communication de la BCE. Le virus a bon dos…
Ces 750 milliards d’euros vont permettre (surtout) de sauver les banques et les fonds spéculatifs de la noyade. Les pertes dues à des paris spéculatifs sont colossales. Et si la baisse des bourses perdure, les pertes iront de pire en pire, jusqu’à la rupture du système financier (qui semble imminente). Et il n’y a pas à se réjouir de la rupture du système financier tant que notre économie est prise en otage par la finance. Tant que le loup n’est pas sorti de la bergerie.
Ironie de l’histoire, la bulle boursière qui vient d’éclater s’est formée à cause de l’argent magique injecté depuis la crise de 2008, puis la crise de la dette des États (crise de la dette souveraine, 2010-2014). La BCE veut sauver la finance avec les mêmes remèdes qui ont conduit aux excès et à notre perte.
L’antidote et le poison se confondent
La BCE avait alors cru en l’efficience des marchés en matière d’investissements. La version officielle était de faire croire en la fable d’un ruissellement géant : l’argent donné à la finance finira dans les caisses des banques pour qu’elles octroient des crédits.
Ces crédits sont censés relancer la consommation, et donc l’emploi. Et en plus, le mécanisme induit une baisse des taux d’emprunts de tout le monde. Youpi ! De l’argent magique pour tous dans le meilleur des mondes. Tout un programme !
Vous pouvez croire à la version de la BCE, celle qui a été gobée par nos dirigeants politiques.
Maintenant, je vais vous raconter une autre histoire avec mon prisme personnel ayant vécu ce cauchemar de l’intérieur ! À vous de choisir laquelle est la plus proche de la réalité.
Jusqu’en 2008, les banques ont inondé l’économie de crédits d’entreprises et de crédits immobiliers provoquant une double bulle boursière et financière. L’avantage des crédits, c’est qu’ils rapportaient de juteux intérêts bancaires. Plus de 18% de la richesse créée !
À cause de leur cupidité incontrôlée, la rupture a eu lieu. Une rupture qui a été aggravée par des produits dérivés extrêmement nocifs. Suite à cette crise, nos dirigeants politiques nous avaient promis qu’en échange de lui venir en aide, nous allions réguler la finance prédatrice.
Les États se sont endettés, NOUS ont endettés, pour sauver une finance cupide. Et ironie de l’histoire, une fois sauvée, la finance prédatrice s’en est prise à ses sauveurs, les États, des «proies» fragilisées par la crise économique provoquée par la finance elle-même !
Cette crise connue sous le nom de crise de la dette souveraine a duré de 2010 à 2014. Elle s’est terminée grâce à la fameuse politique de l’argent magique proposé aujourd’hui par Christine Lagarde.
La BCE a injecté l’argent magique en achetant aux spéculateurs les produits du crime, les obligations d’États. Déjà, les dirigeants politiques n’avaient pas estimé bon de changer les traités pour permettre à la BCE de prêter aux États sans passer par les marchés financiers.
En se faisant racheter par la BCE les produits du crime avec de l’argent magique, la finance s’est retrouvée avec des montagnes de cash ne sachant quoi en faire ! En effet, la politique monétaire en question induit une baisse des taux d’emprunts, allant jusqu’à être négatifs ! Une aberration selon la doxa économique dominante.
Et comme les marchés financiers sont efficients non pas dans l’intérêt commun, mais dans la maximisation des profits, ils ont investi cet argent dans trois voies très toxiques : les dettes d’États et d’entreprises risquées (les fameux junk bonds), l’achat d’actions et la vente de produits dérivés.
Contrairement aux obligations d’États qui n’apportent rien, les actions rapportent de juteux dividendes mais créent une bulle boursière ! Et les produits dérivés permettent de toucher de juteuses primes de risques, mais peuvent exploser au moindre imprévu !
L’argent magique de 2014 a certes endigué la crise de la dette des États, mais la solution adoptée a développé les causes de la crise d’aujourd’hui !
À chaque fois qu’on croit avoir tué la bête, elle revient à la charge avec plus de force et de violence, faisant plus de dégâts !
Surtout, cette bulle a encore une fois été générée du fait de la cupidité de la finance. Elle fut construite sur un mensonge des hautes instances financières et une incompétence de nos dirigeants politiques qui nous ont vendu la fable du ruissellement.
Aujourd’hui, nous y sommes. Le coronavirus a explosé violemment la bulle boursière, et les produits dérivés nocifs se sont réveillés. Encore une fois, l’urgence couplée à notre peur nous tétanise.
Il aurait fallu changer en urgence les traités pour financer directement les États et injecter l’argent magique dans les banques commerciales, sur des comptes isolés, pour être sûr qu’ils servent l’économie réelle et les ménages et non la finance cupide et nocive.
Sauvons l’économie d’abord. Mais surtout, de grâce, cherchons un modèle économique épuré de la finance usuraire.
Si nous ne le faisons pas par oubli ou par confort, la prochaine crise sera d’une ampleur plus importante.
Anice Lajnef. Mars 2020