À peine commencé, le grand débat est déjà terminé. Chantal Jouanno a jeté l’éponge, devant le refus de l’Élysée de garantir un débat indépendant suivi d’effets, et aussi, un peu, devant la pression populaire sur son salaire à la tête de la Commission Nationale du Débat Public.
De séminaire gouvernemental en éléments de langage ineptes, du style «Le grand débat ne doit pas devenir le grand déballage», la majorité a décidé de foncer toujours plus vite dans le mur du refus de l’écoute et du rejet du dialogue.
La lettre aux français d’un Président hors-jeu et hors-sol a fixé les termes d’un débat impossible où les lignes rouges de l’ISF et de la politique de privatisation libérale de l’État ne peuvent être franchies. Pire ! La lettre d’Emmanuel Macron propose des thèmes chers à l’extrême droite sur l’accueil des réfugiés, l’immigration ou l’identité, qui ne sont en rien portés par les revendications des gilets jaunes.
Nous assistons donc, un peu goguenards et complètement désabusés, à la promotion d’un coup de communication politique bancal, organisé par le gouvernement, pour le gouvernement, pour les derniers soutiens du gouvernement, donc un débat totalement inutile.
Ce grand débat n’a qu’un objectif : remettre en scène le Président, qui fera un tour des régions, en présence des caméras et des militants triés sur le volet, pour montrer qu’il a compris le message des gilets jaunes, et qu’il est proche de son peuple désormais.
Ce même Président qui a décidé d’annuler les voeux aux corps intermédiaires, jugés «trop chronophages et inutiles», ce Président qui résume un mouvement profond de contestation sociale à une foule haineuse. Ce même Président qui écrit une bien trop longue lettre aux français, comme s’il voulait éviter d’avoir à mal jouer son rôle, une fois encore, devant les caméras officielles de l’Élysée.
Le grand débat national s’avère en réalité une petite opération de communication sur le dos des maires, dont certains ont déjà refusé de se prêter au jeu, jugé sans doute trop chronophage et inutile, lui aussi.
Le débat est impossible, tout comme cette cocasse et triste «guerre des cagnottes» qui n’a pas pu avoir lieu à cause de la censure d’une plateforme de dons en ligne qui a interprété ses conditions d’utilisations pour complaire aux injonctions du gouvernement.
Il faut comprendre la cagnotte de soutien à l’ancien boxeur Christophe Dettinger, comme l’expression de défiance des invisibles, prêts à toutes les solidarités contre une oligarchie embastillée.
Dettinger est devenue une icône, en miroir à Benalla, autre icône, qui se moque de la justice.
C’est la comparution immédiate pour l’un et l’immunité et le faste des voyages avec passeport diplomatique pour l’autre, dans une danse macabre sur les restes piétinés de la République.
La volonté d’apaisement de l’exécutif n’existe pas.
C’est un barrage autoritaire qui blesse les corps et empêche la parole qui se dresse face à une demande de plus de démocratie et de plus de justice. Une violente lutte de pouvoir où «ceux qui réussissent» empêchent «ceux qui ne sont rien» de construire leurs solidarités effectives.
La Vème République n’est certainement pas l’incarnation suprême de l’idéal républicain.
Pierre Mendès France jugeait que «La République doit se construire sans cesse, car nous la concevons éternellement révolutionnaire, à l’encontre de l’inégalité, de l’oppression, de la misère, de la routine, des préjugés, éternellement inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir».
Il ne peut y avoir d’ordre républicain sans justice.
Les thèmes du grand débat sont gravés sur le fronton de nos mairies : Liberté, Égalité, Fraternité.
Tout le reste, c’est du vol.