La police en charge de l’enquête sur le meurtre du patron de UnitedHealthCare, un géant de l’assurance santé, la semaine dernière à New York, a révélé que l’auteur présumé des faits portait sur lui un texte, sous la forme d’un manifeste révélant sa colère contre le secteur des assurances de santé.
Soupçonné d’avoir abattu par balles, le 4 décembre à l’aube et en pleine rue dans le centre de Manhattan, Brian Thompson, le directeur général de UnitedHealthCare, premier assureur santé privé du pays, Luigi Mangione, 26 ans, diplômé d’ingénierie et passionné d’informatique, a été arrêté lundi, dans un restaurant McDonald’s à Altoona, en Pennsylvanie, à 500 kilomètres à l’ouest de la ville de New York.
Inculpé pour meurtre, il a comparu mardi, devant un tribunal du comté de Blair, en Pennsylvanie. Il y a contesté son transfèrement vers New York, où la justice l’attend pour le juger. Les avocats de Luigi Mangione ont quatorze jours pour déposer leurs arguments contre le transfert de leur client vers New York.
Le fichier audio des caméras de vidéosurveillance présentes dans la rue permet d’identifier la phrase « c’est une insulte à l’intelligence du peuple américain » pouvant éclairer sur les motivations du suspect. En effet, six jours après le crime, la police cherche à expliquer pourquoi cet ancien étudiant brillant de la prestigieuse université de Pennsylvanie et originaire d’une famille aisée de Baltimore a froidement tiré sur Brian Thompson au pied d’un hôtel au cœur de Manhattan.
Dans l’émission Good Morning America d’ABC, le chef des enquêteurs de la police de New York, Joseph Kenny, a déclaré : « J’ai pu lire ce manifeste. C’est un texte manuscrit. Il laisse entendre qu’il est frustré par le système de santé des Etats-Unis. Plus précisément, Luigi Mangione explique que notre système de santé est le plus coûteux du monde, alors que l’espérance de vie d’un Américain est classée au quarante-deuxième rang mondial. Il a écrit beaucoup sur son mépris pour les entreprises américaines et, en particulier, pour l’industrie de la santé ». Par ailleurs, les mots « delay » (retarder) et « deny » (refuser) ont été retrouvés inscrits sur des douilles sur les lieux du drame, rappelant des pratiques controversées du secteur.
Si la mort de Brian Thompson a provoqué de vives réactions, elle a aussi été accompagnée de nombreux commentaires haineux sur les réseaux sociaux à l’encontre des programmes d’assurance-santé américains, illustrant une colère profonde à l’égard d’un système lucratif accusé de s’enrichir sur le dos des patients. Une note interne de la police, citée par le New York Times, fait état de la possibilité que Luigi Mangione soit perçu « comme un martyr » par certains et comme « un exemple à suivre ».
La mort de ce grand patron du secteur de l’assurance santé aux Etats-Unis a provoqué un déferlement de publications acerbes sur les réseaux sociaux, preuve d’une colère profonde à l’égard d’un système lucratif, accusé de s’enrichir sur le dos des patients. La publication sur Facebook des condoléances du groupe UnitedHealth – la maison mère de UnitedHealthCare – a fait vivement réagir les internautes, l’immense majorité des réactions étant des Emoji « rire ». Vendredi, il n’était plus possible de connaître avec précision leur nombre. Network Contagion Research Institute, un centre de recherche spécialisé dans les questions numériques, a recensé « un bond de publications très engagées à travers les réseaux sociaux glorifiant l’évènement, certaines appelant même à des actes de violence supplémentaires, suscitant des dizaines de millions de vues ».
Cette absence d’empathie, voire cette rage, illustre le désaveu de la population envers le secteur de l’assurance santé privée en général, et plus particulièrement vis-à-vis d’UnitedHealthCare qui refuse environ un tiers des demandes de prise en charge médicale à ses assurés, le taux le plus élevé de toutes les compagnies d’assurance et le double de la moyenne du secteur. UnitedHealthCare couvre environ 50 millions de personnes aux Etats-Unis et a réalisé 16,4 milliards de dollars de bénéfices en 2023. La même année, la rémunération de son patron, Brian Thompson, a été de plus de 10 millions de dollars.
Pour Mélanie Heard, responsable du pôle santé du think-tank Terra Nova, « ce système est d’une violence extrême. Beaucoup de gens se voient prescrire des soins par un médecin, avant que ces derniers ne soient refusés par leur assurance. C’est une situation qui survient régulièrement et cela peut arriver de vendre sa maison pour soigner son enfant qui est atteint d’une maladie grave. C’est une réalité avec laquelle vivent les Américains ». La multiplication des actions judiciaires à l’encontre des assurances santé privées qui refusent la prise en charge de soins pourraient accroître leur régulation dans les prochaines années.
UnitedHealthCare s’est vue accuser d’inventer de faux diagnostics à ses assurés pour percevoir davantage de subventions au titre de Medicare sans rembourser le trop-perçu. UnitedHealthCare a également saisi la justice pour contester les critiques formulées contre son algorithme de calcul du risque, objet d’une class-action en 2023.
Les assureurs privés et cotés en bourse comme UnitedHealth joue un rôle très actif en fixant des règles et en demandant des autorisations préalables avant de rembourser des soins très chers, et si les médecins continuent à soigner sans l’autorisation préalable, ces assurances refusent de rembourser.
Adoptée en 2010, la loi « Obamacare » a permis de couvrir des dizaines de millions d’Américains dépourvus d’assurance santé. Mais le coût de la santé et les disparités de prises en charge restent élevés aux Etats-Unis.
Selon des chiffres du gouvernement, les résidents sur le sol américain ont dépensé 1 290 milliards de dollars en assurance santé privée en 2022. Aux Etats-Unis, 217 millions d’habitants sur plus de 330 millions au total, étaient couverts par une assurance santé privée en 2023. Ce secteur juteux gère aussi l’assurance publique Medicare pour les personnes âgées et Medicaid pour les personnes très pauvres, sous mandat du gouvernement qui le subventionne.
L’Obamacare n’a pas du tout remis en cause le pouvoir des assurances privées qui reste considérable dans le système américain et la récente élection de Donald Trump est synonyme d’une baisse de la couverture santé associée à davantage de privatisation.