Voici désormais un an qu’Emmanuel Macron a fait adopter sa réforme de l’Université en deux temps : d’abord avec le vote puis la promulgation de la loi ORE (loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, dite loi Vidal) ; puis par la publication le 31 juillet 2018 de l’arrêté Licence.
La contestation étudiante fut des plus vives tout au long de l’année 2018, ravivant les flammes d’un possible nouveau Mai 68 (si tant est que cette contestation ait eu les mêmes airs que celle face à la loi Devaquet, portant sur le même objet et dont l’issue fut des plus dramatiques). Malgré ses airs superficiels, cette loi poursuit le travail de libéralisation des universités françaises, entamé en grande partie par la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités, promulguée en 2007).
Cette loi, sortie en été lors de la première année de la mandature Sarkozy, a consacré l’autonomie des établissements universitaires concernant la gestion budgétaire, les biens immobiliers et les ressources humaines. Elle a également été assortie du Plan Campus, reconnaissant douze universités d’excellence, auxquelles furent allouées des dotations exceptionnelles.
La loi Vidal a poursuivi cette entreprise de la distinction entre université d’excellence et délaissement des universités sans label, déclassées. Le gouvernement a approfondi cette mesure en permettant la pratique de la sélection pour l’entrée en licence et master, en multipliant les fusions d’universités pour créer de nouveaux pôles d’excellence, et en généralisant les labellisations Initiative d’Excellence (IDEX) dans les grandes métropoles françaises.
Concernant la sélection à l’entrée de l’université, rappelons un chiffre significatif qui éclaire le malaise dans l’éducation: 100% des étudiants de Seine-Saint-Denis se sont vus, pour la rentrée 2018-2019, refuser l’accès aux universités parisiennes. En effet, il ne faut pas être prix Nobel pour se rendre compte que la sélection se fonde avant tout sur des critères sociaux plus que purement scolaires, et cherche à préserver une éducation de classe, tout en haut de l’échelle sociale.
Ainsi, la vision de l’enseignement par Emmanuel Macron est plus que jamais libérale : pour lui, la fonction première de l’enseignement est de professionnaliser l’individu, et ceci dès le plus jeune âge. Si on peut reconnaître au travail des vertus, telles que permettre à chacun de s’émanciper personnellement dans une collectivité et développer les relations humaines (et encore, ceci appartient à l’hypothèse la plus idéale, la réalité en a fait une toute autre chose), force est d’admettre que nous sommes dans la nécessité de prodiguer aux études une vision émancipatrice de l’Homme, émancipation qui passe par la culture, par la découverte et la transmission d’un savoir qui forge notre culture et notre libre arbitre.
Cette vision professionnalisante se retrouve un peu partout dans le monde occidental, et ceci pour une raison particulière, le modèle libéral touche à sa fin. Face aux urgences sociales et écologiques principalement, les citoyens réclament une bascule de ce modèle vers un modèle plus social et soucieux des enjeux environnementaux qui s’annoncent dramatiques si notre modèle ne change pas. Or cette prise de conscience citoyenne, portant le nom de «déficit démocratique» selon Pippa Norris, résulte dans le fait que les populations actuelles, le plus généralement issues des classes moyennes et populaires, sont plus éduquées qu’auparavant, et de cette éducation découle cette volonté de renverser un système en fin de course, pour un autre.
De ce fait, il est logique que les chantres du modèle libéral, hérité des XIXème et XXème siècles, tentent par les moyens les plus fourbes et cyniques de préserver ce système.
Pour ce faire, deux moyens sont employés afin de résoudre cette «crise du déficit démocratique» : l’aliénation par le travail et l’aliénation culturelle.
Ces aliénations des populations, s’incarnent via les réformes successives portées par le gouvernement : réformes de l’école (loi Blanquer) ; réformes de l’université (Parcoursup, loi ORE) ; réformes du Code du Travail et des retraites, etc…
Pour ce qui est de l’aliénation du travail, la vision faite de l’université par le gouvernement atteste de cette volonté de conformer le plus tôt possible le futur travailleur : professionnaliser les parcours par la prépondérance des stages dès la licence, multiplier les partenariats avec les entreprises avec la labellisation IDEX, et opérer une ouverture à la privatisation des établissements publics d’enseignement supérieur.
Ce dernier point a été relevé par Nico Hirtt, professeur et essayiste luxembourgeois, spécialiste de l’école et des systèmes éducatifs européens. Ses principaux travaux portent sur les inégalités et la ségrégation scolaire et la marchandisation de l’éducation. Il porte un regard critique sur l’approche par la compétence. Dans son ouvrage «Tableau Noir. Résister à la privatisation de l’enseignement», il analyse les différents rapports de l’OCDE et de l’Union Européenne concernant l’enseignement scolaire au sein des États membres de ces organisations. Il y est révélé que le «marché de l’éducation» est deux fois plus rentable que celui de l’automobile !
De plus, cette privatisation se joue déjà en ce moment même, sous couvert de novlangue néolibérale. En effet, la privatisation commence toujours par une autonomisation de l’organisme à vendre, poursuivie ensuite par des partenariats approfondis avec les entreprises privées, aggravée ensuite avec des difficultés financières volontairement organisées, puis conclue par la mise en concession dudit organisme. C’est exactement la situation dans laquelle se trouve nos universités aujourd’hui, dont le modèle social ne pourrait plus répondre aux enjeux contemporains, selon les dires du gouvernement français.
Or, il est clair que céder les universités aux capitaux privés consisterait en une exploitation utilitariste de l’étudiant, devant dédier ses travaux aux intérêts de l’entreprise plus intéressée par son intérêt personnel que par l’intérêt général, en plus de brider les enseignements prodigués sous les axes jugés pertinents par les entreprises, plutôt que de favoriser la pluralité des points de vue. Cela se fait dorénavant au Japon, où une vingtaine de facultés d’arts et de sciences humaines ont été fermées, jugées inutiles par le gouvernement nippon.
Fort heureusement, cette situation n’est pour l’instant qu’hypothétique. Mais dans l’éventualité d’une fronde à venir face au jour où cette situation se présentera, les libéraux préparent la jeunesse sous le joug de l’aliénation culturelle.
Ainsi, les gouvernements libéraux font la promotion de références culturelles sans voix dissonantes face à leurs politiques : lois mémorielles, réécriture de l’Histoire, confusion idéologique. Mais aussi en vantant les mérites des réseaux sociaux, lorsqu’ils jouent en leur faveur : suppressions arbitraires des contenus de désinformation sans en fournir la preuve grâce à la loi anti-fake news ; polarisation de populations sur des sujets de société face auxquels le gouvernement prendra toujours le parti de la position la plus consensuelle, contrôle numérique de masse.
Le gouvernement, par sa communication, où il reprend les références populaires de ces réseaux et en offrant de quoi alimenter les jeux de mots des personnes influentes sur ces mêmes réseaux, participe délibérément et de manière semi-assumée à cette aliénation culturelle, aux facteurs multiples. Néanmoins, ceux qui œuvrent le plus à cette aliénation culturelle demeurent les grandes entreprises de l’entertainment, comme Disney et sa mainmise sur le monde du cinéma, ou encore les maisons d’édition qui ont abandonné la littérature au profit de produits de grande consommation, comme les livres témoignages de personnalités de type Benalla ou autres, et comme l’ensemble des industries «à but culturel».
Cette prolifération d’œuvres commerciales dénuées de toute réflexion, intéressant plus la jeunesse que celles portant un regard sur l’état du monde aujourd’hui, est la principale caractérisation de l’aliénation culturelle dont se rendent complices les différentes politiques éducatives.
Le nivellement par le bas de l’offre culturelle, transformée en divertissement, rend service aux libéraux dont ce gouvernement en est le principal apôtre. En établissant une politique éducative professionnalisante, qui met plus l’accent sur les possibilités d’entreprenariat que celles d’émancipation de l’individu (et donc par ricochet de la collectivité), il cherche à faire décroître la courbe de «déficit démocratique». Les effets sont déjà notables aujourd’hui : une étude récente, menée par deux économistes norvégiens, a démontré que le QI baissait. Nul doute qu’une corrélation est possible avec les différentes politiques éducatives qui se succèdent, mêlant entre elles les deux effets précités.
Or aujourd’hui encore, les libéraux persistent à nous vendre le mythe de l’émancipation de chacun, et ceci en persévérant dans la réduction des acquis sociaux, en bridant la liberté de la presse et en limitant les libertés de discours etc… Inutile de faire l’inventaire des réformes passées, mais ce serait mentir que de nier ici une volonté de sauvegarder le TINA (There’s no alternative), selon lequel l’alternative au libéralisme serait le stalinisme ou le fascisme.
Il est de notre responsabilité de proposer une alternative durable, mais également de lutter contre le sacrifice de la jeunesse aux intérêts financiers.