En ce samedi 2 avril 2022 se tenait le seul et unique meeting de campagne d’Emmanuel Macron, président sortant après un quinquennat que l’on peut qualifier de tumultueux. Pour autant, si l’exercice devait témoigner de la ferveur des partisans de la majorité présidentielle pour la reconduction du candidat à la tête de l’Etat, force est de constater que l’exercice s’est conclu sur une note amère, entre un discours qui n’a laissé personne dupe, et une guerre des images en défaveur des organisateurs.
Depuis son entrée en campagne début mars, Emmanuel Macron tente de se frayer un chemin vers la réélection en jouant un exercice d’équilibriste inédit : profitant du contexte belliqueux entre l’Ukraine et la Russie pour faire valoir une stature d’homme d’Etat que n’aurait pas ses concurrents, le président-candidat raréfie sa présence médiatique et ses meetings, envoyant sa cour à sa place tenir des réunions publiques pour répandre la bonne parole dans les quatre coins de l’Hexagone.
La stratégie est simple : ne pas mener campagne pour signer un contrat de reconduction tacite avec les électeurs. Faisant valoir une présomption de compétences, les français devraient voter pour Emmanuel Macron car il a montré qu’il était capable de tenir la barque même en temps de crise, étant donné la succession de vents contraires qui ont bousculé la maison France durant ces cinq dernières années. Cumulé à un glissement programmatique vers la droite, non sans avoir pris le pouls du pays avant, Emmanuel Macron est arrivé en campagne prêt à survoler les débats et concurrents pour mieux conserver son fauteuil élyséen.
Cependant, si les français pouvaient être attirés par l’élan de fraîcheur qu’incarnait Emmanuel Macron en 2017, vantant les mérites d’un nouveau monde politique à bâtir et arguant la promesse de faire de la politique autrement en réunissant le meilleur de la droite et de la gauche, le meeting qui s’est tenu à La Défense Arena ce samedi 2 avril 2022 montre que le président sortant n’a pas compris les enjeux d’une campagne pour sa réélection. Les cinq années passées au pouvoir après avoir obtenu la confiance des français sur un récit nécessitent précisément la construction d’un nouveau récit personnel et commun avec les concitoyens. Or Emmanuel Macron, se rendant compte de l’impossibilité de défendre un tel bilan, en inadéquation totale avec les promesses formulées cinq ans auparavant, tente de faire revivre la campagne de 2017. Ici réside toute son erreur.
Tout d’abord, sur la promesse d’un nouveau monde, il est rapidement visible que l’exercice du pouvoir durant ce quinquennat n’a rien à envier à ce qui a pu se faire de pire avant lui. Barbouzes, dissimulation derrière son immunité présidentielle, refus de pratiquer la moralisation politique pourtant promise, rien ne change fondamentalement, si ce n’est la façade qui a subi un léger vernissage. Léger car la promesse du nouveau monde ne peut se tenir avec des anciens ministres qui exerçaient leurs fonctions pendant que je mordais les barreaux de mon lit : Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Chevènement, et certains plus récents comme Manuel Valls voire l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Cela montre une incapacité à renouveler la scène politique, quand ce n’est pas du cynisme pur.
De plus, cette agglomération de soutiens venus de toutes parts atteste d’une volonté de ces soutiens de manger à tous les râteliers, en plus de montrer l’absence d’ossature idéologique d’Emmanuel Macron. Comment relier autour de soi des gens qui ont passé des années à se mener la guerre dans les médias et dans les hémicycles des Palais Bourbon et de Luxembourg ? Ce n’est pas sérieux. D’autant plus quand le reproche principal qui peut être formulé est de proposer tout et son contraire et de ne jamais allier le discours aux actes et inversement. Emmanuel Macron est un opportuniste entouré de gens qui lui ressemblent, et cela le prouve encore.
Car le discours tenu n’est pas en reste. Après avoir proposé des mesures abjectes comme l’apprentissage à partir de 12 ans ou le conditionnement du RSA à 15-20h d’activités, et avoir fait voter la baisse de 5€ des APL quelques temps seulement après avoir promulgué la réforme de l’ISF en IFI, le président sortant s’est plu à citer le slogan du Nouveau Parti Anticapitaliste «nos vies valent mieux que leurs profits». Si le «en même temps» pouvait fonctionner en 2017, puisqu’Emmanuel Macron restait un inconnu pour une majorité des français, les cinq ans aux manettes ont permis de cerner le personnage. De comprendre ce qui dictait sa politique et les mesures qu’il prit. Retenter le coup pour la réélection montre toute la médiocrité du personnage et de ses équipes : les français ne souffrent ni d’amnésie, ni de troubles masochistes. Ils ne sont pas si naïfs quant à la véritable nature du projet macroniste, loin du progrès social vanté pourtant dans son discours de campagne de La Défense Arena. Reste à déterminer si ce jeu d’équilibriste est quelque chose auquel il croit fermement (ce qui serait un argument suffisant à l’évincer dès le premier tour tant cet aveuglément est dangereux pour l’avenir), ou une preuve de son cynisme (ce qui justifierait également une éviction prématurée).
Prononcer les termes «solidarité» et «bienveillance» ne fait pas oublier les mutilés des Gilets Jaunes, le gazage des personnels soignants en grève, ou les queues alimentaires des étudiants
Celui qui a justifié des mesures toutes aussi anti-sociales les unes que les autres par l’absence d’argent magique ne peut se plaire à répéter le même discours après avoir arrosé d’argent les cabinets de conseils et les entreprises pendant son quinquennat, ni demander aux français de consentir à des efforts au niveau du portefeuille. Qui plus est en maquillant cela sous un veule verbiage qui tente de cacher cette gabegie d’argent sous le terme de «progrès social» et de «solidarité». Il est temps pour lui désormais d’assumer pleinement la politique qu’il mène et souhaite continuer de mener. La politique manquait de morale pour lui en 2017, elle manque d’honneur sous sa présidence. Un honneur qui consiste à prendre ses responsabilités et à assumer ses manquements et errements.
Le vernissage sociétal de son bilan par quelques mesurettes ne cache en rien la monstruosité du travail de sape des conquêtes sociales menées depuis des décennies désormais. L’exhibition de poids lourds des majorités passées ne transforme pas l’abyssale nullité des poids lourds de l’actuelle. Prononcer les termes «solidarité» et «bienveillance» ne fait pas oublier les mutilés des Gilets Jaunes, le gazage des personnels soignants en grève, ou les queues alimentaires des étudiants. Tenter de ne pas faire campagne pour des raisons de guerre en Ukraine ne permet pas de se substituer au débat démocratique que les français et autres candidats méritent. La succession de crises n’exclut pas d’assumer sa responsabilité dans la mise en œuvre d’un agenda législatif «politiquement abject».
L’apoplexie dans laquelle se trouve la politique française aujourd’hui ne doit pas nous faire rejeter l’idée d’un sursaut collectif face à cette quintessence du vide. Si Emmanuel Macron prouve encore une fois qu’il n’a que faire des français, privilégiant son destin personnel à l’intérêt général que la fonction somme pourtant de prioriser, il peut néanmoins servir cet intérêt. Il peut être le fossoyeur d’une Vème République léthargique, qu’il a contribué à tuer en exploitant toutes les limites permises par les réformes qui ont tué son essence même. Le 10 avril, les Français vont peut être enfin sanctionner ce petit Président pour qui le costume était définitivement trop grand, et préserver une nouvelle fois notre modèle social de ce dangereux liquidateur.