Selon Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, il n’y pas de paradis fiscal en Europe. Vraiment ? Pourtant depuis des années, l’Europe est le terrain de jeu favori des experts banquiers spécialisés dans le blanchiment d’argent.
Les autorités de contrôle et de régulation manquent de moyen et l’absence de coordination intra-européenne rend le jeu encore plus facile. Quelques amendes existent mais les scandales se succèdent.
Pour la France, voici le tableau d’honneur de l’ACPR pour non-respect de ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) :
- BNP Paribas : amende de 10 millions d’euros en 2017
- Société générale : amende de 5 millions d’euros en 2017
- AXA France Vie (AVF) : amende de 2,5 millions d’euros en 2016
- Crédit Agricole (Vendée) : amende de 2 millions d’euros en 2017
- Crédit Mutuel : amende de 1 million d’euros en 2018
- Saxo Banque : amende de 900 000 d’euros en 2016
Les pays européens sont toujours prompts à mettre en place des politiques de contrôle des fraudeurs sociaux, mais en matière de fraude fiscale et de délit bancaire, le droit, comme la puissance publique, semblent en général bien limités.
La «responsabilisation» est le mot-clef des progressistes libéraux pour imposer un contrôle aux plus faibles, chômeurs, pauvres, jeunes étudiants, sous couvert d’émancipation par le travail et le mérite.
À chaque fois qu’il est question de créer des lois de contrainte pour les plus riches, les gouvernements progressistes évoquent des mesures contre-productives, anti-compétitives et dangereuses pour l’emploi et la croissance.
Mais en quoi renforcer le contrôle des fraudeurs de masse tels que les banquiers, serait-il dommageable à nos économies ?
Pourquoi laisser libre cours aux banques, quand celles-ci s’avèrent irresponsables depuis la crise de 2008 dans leur auto-contrôle et leur régulation ? À tel point que les banques européennes sont devenues en quelques années un petit paradis pour le blanchiment d’argent sale.
Les exemples récents s’accumulent et montrent l’absence d’un organisme de contrôle international et européen efficace.
À l’échelle mondiale, le blanchiment d’argent sale, lié principalement au trafic de drogue, au terrorisme et au crime organisé, est en augmentation. Selon les estimations de l’ONU, jusqu’à 2000 milliards de dollars par an seraient ainsi lavés de tout soupçon grâce au système bancaire international, et cela en toute impunité.
Une grande partie de ce trafic passe par le système bancaire européen, ultra-laxiste et non coordonné en matière de lutte contre le blanchiment.
Avez-vous entendu parler de la Danske Bank dans les médias français ?
Hormis la presse financière, peu de titres ont fait grand cas de ce scandale. Et pourtant, cet exemple est édifiant pour révéler l’ampleur de la fraude infra-européenne.
De 2007 à 2015, cette grande banque historique danoise a facilité le flux de près de 200 milliards d’euros d’argent sale – en grande partie de l’argent russe d’origine criminelle – via sa petite et discrète succursale estonienne. Le succès de la branche estonienne fut retentissant, avec un rendement de fonds propres extrêmement élevé : plus de 400%, soit environ 35 fois plus que la rentabilité actuelle du groupe ! La Danske Bank, fière du succès de sa petite entreprise balte, ne jugea pas bon de mettre en place une commission d’enquête et aucune alarme ne retentit dans la salle du board pour prévenir de la surchauffe, tout juste quelques mots d’inquiétude.
Thomas Borgen, en charge des opérations internationales (dont l’Estonie) fut promu PDG en 2013. Lundi dernier, devant l’ampleur du scandale, il a été contraint de démissionner de son poste de PDG, avec un remerciement équivalent à 12 mois de salaire, soit, 1,79 million de dollars. Hermes EOS, une entreprise de conseil des actionnaires a proposé qu’une enquête soit menée au sein de la banque pour révéler si des fautes ont été commises par la direction, le rapport produit par le cabinet d’avocats de Danske Bank sur le scandale ayant été jugé «peu fiable».
Cette affaire n’aurait pas été rendue publique sans le travail d’un lanceur d’alerte et l’enquête du journal danois Berlingske.
Le cas de la Danske Bank n’est hélas pas une anomalie isolée.
La banque néerlandaise ING est à son tour impliquée dans son propre scandale de blanchiment d’argent. La semaine dernière, le directeur des finances, Koos Timmermans, a démissionné après une condamnation à payer 775 millions d’euros par les procureurs néerlandais pour la faiblesse des contrôles internes permettant le blanchiment en série.
Et si l’on regarde ailleurs, en Europe et en France, ces dernières années, les grandes banques, HSBC, Standard Chartered, BNP Paribas, Société Générale, Deutsche Bank ont toutes été condamnées à des amendes pour blanchiment. Au printemps, la troisième plus grande banque de Lettonie, ABLV, a dû être placé en liquidation après un scandale de blanchiment d’argent. Et il ne s’agit que des banques qui ont été prises en flagrant délit…
L’Europe a clairement un problème avec ses banques.
La directive de l’Union européenne relative à la lutte contre le blanchiment d’argent (AML) a été rédigée et réécrite cinq fois au cours de la dernière décennie et a été progressivement mise en œuvre par les pays membres. Chaque pays membre a mis en place une autorité de contrôle plus ou moins efficace : au final, seuls 5% des signalements pour blanchiment d’argent sont suivis d’enquêtes. En France, l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) a relevé de graves manquements des banques françaises dans leur système de contrôle et de déclarations.
Certains pays de l’union Européenne – comme l’Estonie, la Lettonie, Malte, Chypre, le Luxembourg – ont clairement construit leurs économies en attirant de l’argent étranger, sans pour autant contrôler efficacement l’origine de ces liquidités.
La mauvaise coordination entre les organismes de contrôles nationaux et l’absence d’une base de données centrale sur le blanchiment de capitaux ne facilitent pas le travail de l’autorité bancaire européenne.
À la toute fin du mandat de Jean-Claude Juncker, la Commission européenne a enfin annoncé le mois dernier qu’elle prendrait dorénavant le problème plus au sérieux, en accordant des pouvoirs supplémentaires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent à l’Autorité bancaire européenne. C’est-à-dire que le service en charge de la lutte contre le blanchiment de capitaux passera de deux à dix personnes.
Ironie de l’histoire, c’est un letton, Valdis Dombrovskis, qui est Commissaire européen chargé des affaires financières.
Que les banquiers européens se rassurent, leur petite entreprise ne connaîtra pas la crise. L’Autorité bancaire européenne n’a pas le pouvoir d’imposer des amendes et les montants décidés par les régulateurs nationaux restent dérisoires en comparaison des sommes blanchies.