Pierre Moscovici a donc quitté la Commission Européenne pour la Cour des Comptes, Sylvie Goulard, privée de poste de Commissaire a reçu son lot de consolation tandis que Thierry Breton prenait sa place, Christine Lagarde est passée du FMI à la BCE sans peine… La valse des hauts fonctionnaires révèle un entre-soi élitiste qui met à mal la démocratie française.
La nomination de l’ancien commissaire européen Pierre Moscovici à la Cour des Comptes n’a surpris personne. Elle est le symptôme de l’immuable marche de la haute administration publique, où pour certains, la vie coule comme un long fleuve tranquille. Dans notre République d’inspiration si monarchique, le président de la Cour des Comptes est nommé par décret en Conseil des ministres. Voici donc en un coup de baguette magique, un ancien cadre socialiste propulsé à la tête de la juridiction administrative chargée du contrôle de la dépense publique.
Énarque, ancien élève de Sciences Po, Pierre Moscovici avait choisi la Cour des Comptes comme corps à sa sortie de l’école, un choix simple, qui assure à vie un avenir radieux de haut fonctionnaire, loin de tout souci matériel ou financier. Son cas est emblématique d’une génération de politiques et responsables publics : après l‘école, l’engagement partisan, les ministères, une nomination à l’international pour certains, puis la retraite dorée dans les cours feutrées de la République.
Rien de plus banal, rien de plus normal en Vème République.
Pour le peuple d’en haut, tout n’est que luxe, calme et volupté
Le recyclage, nos élites le pratiquent depuis longtemps : peu importe les compétences ou les spécialités, les promotions d’énarques se succèdent du privé au public, dans une danse de l’irresponsabilité et de l’entre-soi rythmée par les élections présidentielles.
Pour le peuple d’en haut, tout n’est que luxe, calme et volupté. Loin des réalités de la recherche d’emploi, de la compétition de tous contre tous. Une fois passée l’épreuve initiatique et le camp politique d’allégeance, la carrière des grands serviteurs de l’État n’est qu’une simple formalité. Ainsi, privée de ministère puis de poste de commissaire européenne, Sylvie Goulard a pu rester second gouverneur de la Banque de France. Le chômage ? Même pas besoin de traverser la rue, toujours un job à disposition.
La promesse de nouveau monde d’Emmanuel Macron n’a pas fait long feu face à la réalité de la haute administration française. Le jeune énarque président, s’il a joué au rebelle en proposant la suppression de l’école qui l’a vu naître, reste un modèle du monde d’hier dans la nomination méticuleuse des obligés qu’il poste ça et là pour l’aider à accomplir son projet.
Pour les élites, seul compte le résultat économique des réformes pour quelques donneurs d’ordre
L’opacité mécanique des nominations, les jeux de courtisans assurent à quelques heureux non-élus les plus hautes responsabilités pour la conduite des affaires publiques.
Déjà en 1994, dans La révolte des élites, Christopher Lasch parlait de la «classe des professionnels» aux États-Unis, celle qui contrôle les flux internationaux d’argent et l’information. Pour ces élites mondialisées, seul compte le résultat économique des réformes pour quelques donneurs d’ordre : privatisations, réduction des moyens de l’État et dérégulation d’inspiration néolibérale.
L’éloignement des valeurs républicaines et l’empressement des privatisations ont pris un nouvel essor avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, pur produit de cette «classe des professionnels», qui continue la transformation de l’État en plateforme économique privée, accélérateur de création de valeurs pour certains, en proposant de faire de la République, une «startup nation».
Nous naviguons bien loin des rivages promis d’un nouveau monde et cet anachronisme oligarchique fait peser un réel danger sur la démocratie, en France comme ailleurs en Europe. Pourquoi continuer de proposer grands débats et démocratie participative quand si peu de citoyens cooptés se réservent la gestion des affaires publiques ?
La demande de transparence, les mouvements populaires qui appellent plus de démocratie directe ne sont que les soubresauts du monde de demain qui pourrait se passer sans mal des responsables chroniques de son malheur.