Au cours de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) et de la Conférence consultative politique du peuple qui viennent de s’achever, la Chine a défini ses priorités et fait le point sur les stratégies à mettre en œuvre pour relever les défis dans les années à venir. Au menu de cette grand-messe annuelle figuraient les perspectives économiques, Hongkong et la rivalité avec les États-Unis.
Après une année perturbée par la pandémie due au Covid-19, les 2896 délégués de l’ANP venus de tout le pays se sont réunis du 5 au 11 mars dans le vaste hémicycle du Grand Hall du peuple afin de fixer les nouvelles priorités du régime. Les débats de cette nouvelle session parlementaire, dont la tâche consiste principalement à entériner les orientations fixées par le Parti communiste chinois (PCC), ont permis de réaffirmer la volonté de Pékin de devenir une puissance moderne à l’horizon 2035. Après s’être félicités d’avoir vaincu le virus, les dirigeants chinois ont profité de cette occasion pour exprimer de nouveau la confiance de la Chine dans un contexte mondial instable et en mutation.
Accroître l’autonomie économique et technologique
Comme chaque année, les questions économiques ont occupé la majeure partie des discussions. Malgré les incertitudes liées à la crise du Covid-19, la Chine affiche un optimisme prudent. Son économie s’est montrée très résistante aux coups portés par la crise du coronavirus et son PIB a rebondi aussitôt l’épidémie maîtrisée à l’intérieur de ses frontières. Le premier ministre Li Keqiang s’est toutefois gardé d’annoncer une prévision de croissance pour l’année à venir comme il est pourtant de tradition lors de cette plénière annuelle. Une première estimation a depuis fait état d’une possible croissance de 6% pour 2021. Sans surprise, les délégués ont avalisé l’importance des nouvelles technologies dans la puissance chinoise. Le quatorzième plan quinquennal adopté donne ainsi la priorité à l’innovation et au développement d’une économie high-tech indépendante. Cet accent mis sur la nécessité pour la Chine de devenir autosuffisante est conforme à la nouvelle stratégie dite de «circulation duale» formulée par Xi Jinping lors de l’ANP de 2020 visant à réduire la vulnérabilité du pays aux potentiels chocs extérieurs en développant la consommation, la distribution et la production domestiques. Les entreprises chinoises souffrent en effet d’une trop grande dépendance aux composants électroniques fabriqués à l’étranger, en particulier dans le secteur des semi-conducteurs, absolument crucial pour s’ériger pleinement en géant technologique. Le régime a donc de nouveau insisté pour booster l’innovation domestique et prévoit d’augmenter les dépenses en recherche et développement de 7% par an. En cela, il est troublant de constater que ce nouveau plan quinquennal ressemble beaucoup au programme d’investissement «Made in China 2025» officiellement abandonné par Pékin (mais en réalité devenu officieux) après les polémiques qu’il a suscitées aux États-Unis. Preuve s’il en est que la Chine reste fidèle à ses ambitions.
Dans son discours du 11 mars, Li Keqiang a également mis l’accent sur la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Celui-ci a annoncé vouloir créer 11 millions de nouveaux emplois urbains (soit 2 millions de plus qu’en 2020), visant notamment à réduire les emplois précaires occupés par les 280 millions de migrants internes ayant quitté les campagnes pour les villes de l’est. Des dépenses massives sont donc prévues dans le secteur de l’éducation et de l’emploi afin de développer la classe moyenne. Pékin se montre donc conscient des défis et déséquilibres internes qui guettent la stabilité du pays.
L’armée appelée à «se tenir prête»
Le mardi 9 mars, c’est Xi Jinping en personne qui a évoqué les perspectives en matière de sécurité devant les 258 militaires siégeant à l’ANP. Le président chinois, également président de la Commission militaire centrale, a mobilisé ses troupes en prévenant l’armée qu’elle devait se tenir «prête à tout moment à répondre à une variété de situations complexes et difficiles». Dans un contexte de tensions accrues aux niveaux régional et global, Xi a rappelé que la sécurité demeure au plus haut de l’agenda du régime. La modernisation de l’APL (Armée Populaire de Libération) doit aller crescendo grâce à une augmentation du budget militaire de 6,8%, soit 1300 milliards de yuans (167 milliards d’euros). Cette nouvelle hausse doit notamment permettre des investissements massifs dans les technologies de pointe pour faire de l’APL une armée de classe mondiale d’ici 2050. L’enjeu est de «sauvegarder absolument la souveraineté nationale» et déployer une «dissuasion stratégique». En ce sens, le général Wei Fenghe, ministre de la Défense, a déclaré que la sécurité nationale était entrée dans une «phase à risque élevé» avec des tensions simultanées sur plusieurs fronts, en particulier avec l’Inde, avec le Japon en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale où le trafic maritime s’intensifie. Le régime a ainsi rappelé qu’il est impératif de faire respecter la souveraineté de la Chine à ses frontières immédiates et de sécuriser militairement son voisinage.
Mainmise sur Hongkong
C’est sur fond de tensions à ses frontières que Pékin a resserré son emprise sur Hong Kong en votant une réforme du système électoral après avoir déjà adopté une loi sur la sécurité nationale en juin dernier. Votée avec 2 895 voix pour et une abstention, la réforme prévoit d’augmenter le nombre d’élus au Collège électoral, organe placé sous influence directe de Pékin, passant de 1200 à 1500 membres. De même, la part d’élus directs au Conseil législatif (LegCo) sera réduite avec la nomination de nouveaux représentants sélectionnés par la commission électorale. Surtout, un «comité de qualification» sera chargé d‘évaluer si les candidats à ces instances sont suffisamment «patriotes» pour se présenter aux élections. De l’aveu même de Song Ru’an, commissaire adjoint au ministère des Affaires étrangères chinois à Hong Kong, le patriotisme des candidats se mesurera à la fidélité et à la loyauté de ces derniers vis-à-vis du PCC. Ainsi, après des mois de manifestations pro-démocratie, le Parlement chinois a acté la fin de l’autonomie. Outre une attaque au système politique de Hong Kong, cette décision va considérablement affaiblir le pouvoir économique de la région administrative spéciale et réduire drastiquement son attractivité dans le domaine des affaires avec de nombreuses entreprises déjà sur le départ.
Une divergence avec les États-Unis assumée
En toile de fond de chaque débat de l’assemblée flottait l’ombre du grand rival américain. Autrefois, implicitement évoqués dans les documents ou lors des grands rendez-vous officiels, les États-Unis sont désormais cités nommément par les grands pontes du régime qui assument ouvertement leur antagonisme avec Washington. Qu’il s’agisse d’économie, de technologie, d’influence ou de forces militaires, les États-Unis sont toujours présents dans les esprits chinois et l’obsession d’un duel est bel et bien palpable. Lors de sa conférence de presse, le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, a souligné que la Chine et les États-Unis doivent «mener une compétition saine sur la base de l’impartialité et de l’équité». Li Keqiang a lui aussi rappelé que les deux puissances ont des intérêts communs et que la coopération reste la base de leur relation.
Toutefois, même si la Chine veut avant tout éviter une confrontation, elle ne l’exclut plus complètement et reconnaît la nécessité de s’y préparer. Le vendredi 5 mars, le général Xu Qiliang, membre du Politburo, a ainsi publiquement fait référence dans son discours au «piège de Thucydide», ce concept controversé développé par le chercheur américain Graham Allison pour décrire une situation où une puissance hégémonique se sent menacée par l’émergence d’une puissance concurrente au point qu’un risque de guerre entre elles devient élevé. C’est en prévention de ce risque de conflit ouvert que le numéro deux des forces armées a justifié la nécessité de dépenses massives dans le domaine militaire. Le ton s’est notoirement durci. Les points de frictions avec l’Amérique en Asie du Sud-Est deviennent chaque jour davantage des points à haut risque de confrontation directe. Les flottes occidentales ont dernièrement accru leur présence en mer de Chine méridionale. De son côté, Pékin y a multiplié les exercices militaires et a récemment autorisé les garde-côtes à faire usage de la force, y compris avec des armes lourdes, élevant un peu plus le niveau de nervosité dans ces eaux très disputées. Enfin, Taïwan demeure le plus sensible des différends sino-américains dans la région. L’île figure au cœur du projet de grand renouveau de la nation chinoise conceptualisé par Xi Jinping et les États-Unis ne cachent plus leur crainte d’une invasion de l’île que certains pensent imminente après le sort réservé à Hong Kong. La Chine a profité de ce rendez-vous pour renouveler son avertissement : «le principe d’une seule Chine est une ligne rouge à ne pas franchir». Reste à voir quelle posture adoptera l’administration Biden pour dialoguer avec Pékin.
Entre chantiers internes et ambitions internationales, l’assemblée qui vient de se clore annonce la teneur de 2021, année du buffle certes, mais surtout année du centenaire du PCC que Xi Jinping a bien l’intention de célébrer avec faste.
- Par Amandine Charley, diplômée en sciences politiques et spécialiste des questions géopolitiques ralliées à la rivalité sino-américaine.