Je m’appelle Charles, et je vais avoir 27 ans. Je suis convoqué devant le tribunal de Lyon le 27 janvier 2021, pour avoir «détourné le portrait du Président en le décrochant afin de me livrer à une mise en scène». Cette formulation vous fait peut-être sourire ; elle est pourtant tout à fait sérieuse, et je risque selon l’article 433-4 du Code pénal jusqu’à 7 ans de prison et 100 000 € d’amende.
Pourquoi, et surtout : pour quoi ?
Vendredi 24 mai 2019, je me suis rendu avec plusieurs autres personnes à la mairie de Villeurbanne. Pendant que quelques-unes allaient expliquer ce qui se passait au personnel pour éviter tout affolement, nous sommes montés jusqu’au deuxième étage, dans la salle des mariages, avec un escabeau sur lequel j’ai grimpé pour atteindre le portrait d’Emmanuel Macron qui était accroché au-dessus d’une grande porte. Nous avons pris une photo sur laquelle on peut me voir tenir le portrait, à côté d’une bannière ornée des mots suivants : «Climat, justice sociale, #DécrochonsMacron». Puis nous sommes descendus pour quitter la mairie, jusqu’à ce que sur le parvis un employé sorte après avoir décidé que non, ce portrait ne devait pas partir ; j’aurais alors pu le bousculer et prendre la fuite (ce qui aurait été facilité par la taille de mes jambes). Sauf que nous n’étions pas en train de cambrioler un musée pour y voler une toile de maître : nous menions une action politique de désobéissance civile non-violente, et je l’ai donc laissé récupérer le tableau.
Quelques heures plus tard, sur les pentes de la Croix-Rousse, alors que je discutais avec un petit groupe dans la rue, une voiture de police s’est arrêtée et trois agents se sont approchés de moi pour un contrôle d’identité. Vérifications effectuées, après un bref échange au talkie-walkie, «un officier de police souhaite vous poser des questions au sujet d’une affaire vous concernant», j’ai été embarqué sous le regard médusé de mes camarades et placé en garde à vue pour la première fois de ma vie. J’en suis sorti quelques heures plus tard, après interrogatoire, prise d’empreintes, photos, bref, tout ce que je croyais réservé aux criminels et avec cette convocation à un procès pour «détournement».
Ce procès n’est pas le mien : c’est le procès d’Emmanuel Macron, de nos dirigeants, le procès de l’inaction face à la crise sociale et climatique
Voilà les faits. Un portrait décroché, un procès ; simple, basique. À quoi bon alors décrocher ce tableau, ce poster qui vaut 10 balles sur la boutique de l’Élysée ?
Je suis d’une génération qui a grandi pas seulement avec les téléphones portable et internet, mais aussi avec la préoccupation écologique («sauver la planète»), le trou dans la couche d’ozone, les douches courtes et couper l’eau quand on se lave les dents. Et en grandissant, j’ai fini par comprendre que la situation est carrément plus grave qu’on veut bien nous le dire, et que le temps nous fait défaut pour espérer changer les choses simplement en montrant l’exemple et en espérant que tout le monde finisse par comprendre.
Et pourtant, j’ai essayé. Ça fait des années que j’ai arrêté de consommer de la viande, je fais attention à la provenance et au mode de production de ce que j’achète, je voyage en train ; je travaille, en tant qu’ingénieur, pour des associations qui militent pour la sobriété et l’efficacité énergétique. Pour autant, je suis loin d’être parfait, et quand bien même je le serais ça ne changerait pas grand-chose.
Début 2018, j’étais déjà conscient de la crise à laquelle nous faisons face depuis des années, et j’ai commencé à prendre la mesure de l’ampleur de la crise écologique. Ça m’a fait mal. Très mal. J’ai vu dans ma tête tout l’avenir que j’imaginais s’écrouler, et pendant des mois je suis resté abattu, tétanisé, terrifié. Et puis j’ai découvert Alternatiba et ANV-COP21 après la démission de Nicolas Hulot et la première marche pour le climat, le 8 septembre 2018. Je flippe toujours, mais je sais à présent que je ne suis pas seul, et qu’ensemble, nous pouvons agir.
«Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux». Cette citation d’origine incertaine résume bien le propos du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, et du même coup ce qui anime le mouvement dans lequel je suis impliqué depuis maintenant plus de deux ans, au sein du groupe local Alternatiba ANV Rhône. D’un côté, nous encourageons, mettons en avant et construisons les alternatives au système, de l’autre, nous résistons, combattons, désobéissons ; opposition et proposition. En tout cas, pas question de rester à genoux, surtout face à ce Président, Emmanuel Macron.
Ce Président qui prétend vouloir la transition écologique et solidaire et n’y va qu’à coup de taxe carbone et d’appels à l’effort individuel (mais surtout pour les moins riches).
Ce Président qui se pose comme le «Champion de la Terre» qui va «make our planet great again», alors qu’il renouvelle son soutien aux projets climaticides d’entreprises comme Total et Société Générale, et qu’il ratifie des traités de libre-échange irresponsables.
Ce Président qui se targuait l’année dernière d’avoir instauré un «dialogue respectueux et républicain» alors que nous étions chaque semaine des milliers à montrer dans la rue notre farouche opposition à son projet de réforme des retraites qui, non content d’être parfaitement à rebours du progrès social nécessaire, est la manifestation d’un productivisme dépassé qui nous envoie droit dans le mur – et pied au plancher.
Ce Président qui méprise, frappe, mutile et éborgne celles et ceux qui osent exprimer leur détresse et réclamer plus de justice et de démocratie.
Ce Président qui a montré pendant l’année qui vient de s’écouler son incapacité à s’abstraire de l’idéologie néolibérale, en favorisant systématiquement les intérêts des marchés, le travail avant la culture, l’argent avant les gens.
Ce Président qui maintenant veut se donner les moyens de museler toute forme de contestation, en s’attaquant tout à la fois à la liberté d’expression, à la liberté de la presse, à la liberté de manifester.
La liste est longue, je coupe ici.
Ce Président, dont j’ai donc décroché le portrait en assumant pleinement les risques d’arrestation, de garde à vue, de perquisition, de poursuites judiciaires.
Le 27 janvier, c’est devant la Justice que je devrai expliquer tout cela, comme des dizaines de mes camarades l’ont déjà fait avant moi partout en France. Et même si je serai à la barre ce jour-là, pour moi ce procès n’est pas le mien : c’est le procès d’Emmanuel Macron, de nos dirigeants, le procès de l’inaction face à la crise sociale et climatique ! Mais pour ça, je vais avoir besoin de soutien, parce que c’est quand même une sacrée responsabilité.
Si le cœur vous en dit, vous pouvez :
- partager ce témoignage
- faire un don à Alternatiba ANV Rhône
- participer à notre opération de détournements artistiques
- rejoindre le mouvement dans un groupe près de chez vous