À l’annonce du premier confinement, Emmanuel Macron avait promis qu’«aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite». La promesse ne sera pas tenue.
La quasi-totalité des commerçants se retrouvent aujourd’hui dans une situation de grande incertitude. Selon une étude de Mc Kinsey réalisée en août, 13% des petites et moyennes entreprises (PME) françaises interrogées s’attendent à faire faillite dans les six prochains mois, 17% s’inquiètent de ne pas pouvoir rembourser leurs prêts.
Mc Kinsey n’a pas de soucis à se faire, ce cabinet de conseil est grassement rémunéré par les gouvernements pour gérer la crise sanitaire, une prestation facturée 2 millions par mois au gouvernement français.
La vague mondiale des faillites ne fait que commencer. Le taux de défaut de paiement des entreprises les plus fragiles devrait atteindre 8,4 % en mars 2021 (contre 7,8 % fin 2020 et 6,4 % fin septembre), selon une étude publiée le 9 octobre par l’agence de notation Moody’s. Les défauts de paiement vont augmenter au cours des prochains mois, à un rythme deux à trois fois supérieur à celui d’avant la pandémie de Covid-19. La banque de France, dans son baromètre mensuel des défaillances, fait état d’une situation exceptionnelle qui retarde les faillites, sans trop chercher à prévoir les effets des nombreuses faillites à venir.
Le «quoi qu’il en coûte» risque de devenir une banqueroute totale, entraînant de nombreuses faillites, l’explosion de la dette publique et un risque assurantiel énorme
Quand les faillites vont être prononcées, les assurances vont devoir couvrir les créances assurées. En France, ce chiffre pourrait représenter plus de 2500 milliards d’euros. La capacité des assurances ne dépasse pas 2%, soit 60 milliards d’euros.
Nous publions ici le témoignage d’Anthony Gratacos, chef d’entreprise, un texte bien loin des déclarations rassurantes et volontaristes du président de la République et du ministre de l’économie et qui relate les difficultés réelles des entreprises.
Acta fabula est.
La semaine qui vient de passer fut de celle qui pourrait pour longtemps hanter mes nuits. Une semaine comme jamais je n’en avais connue en 17 années de vie professionnelle. Comme plus jamais j’espère n’en connaître.
Tout a commencé quand Bercy a annoncé en novembre que l’exigibilité de la CFE (Contribution Foncière des Entreprises) à échéance du 15 décembre 2020, pourrait être reportée au 15 mars 2021 sur simple demande de l’entreprise auprès du Service des Impôts des Entreprises de son secteur. A priori, rien de bien méchant. Au contraire. Pour une entreprise comme la mienne le montant de cet impôt est de l’ordre de 9000 euros par an. Bien naturellement, j’en ai demandé le report, espérant que l’État ferait un geste plus tard sur cet impôt délirant au regard de nos résultats en 2020. Que nenni. Les petits génies de Bercy n’avaient pas mesuré les conséquences d’une telle décision. Demander le report était une chose. Mais, cumulée avec d’autres impayés (pour nous une TVA de mars de 2400 euros et un reliquat de CVAE de 127 euros), cette demande a entraîné un enchainement d’événements qui a mené les services à considérer que nous avions une dette fiscale. Et alors tout a basculé.
J’ai mis un mois à comprendre. C’est long un mois… Le 7 décembre, comme plus de 500 000 entreprises, j’ai fait une demande de fond de solidarité au titre du mois de novembre. Ma demande est bien enregistrée et le site des impôts me répond que j’ai le droit à 10 000 euros. Notre entreprise est particulièrement touchée par la crise sanitaire. Notre secteur d’activité est en catégorie S1. Je perds 90 % de chiffre d’affaires sur les 9 derniers mois. Je remplis tous les critéres. Pourtant, trois jours plus tard, je reçois sur mon espace personnel des impôts un courriel de refus. Étrange. Jusque-là, je n’avais eu aucune difficulté et j’avais plutôt loué l’efficacité des services. Qu’importe, je réédite la demande et j’envoie un courriel à la DGFIP via l’espace internet pour demander les raisons de ce premier refus. Vingt minutes plus tard la nouvelle demande est rejetée.
Je me jette donc sur les forums de commerçants, artisans, PME… et je m’aperçois que je ne suis pas le seul. Beaucoup d’entreprises, qui jusque-là touchaient les aides de l’État sans difficultés, se voient soudainement refuser ce qui est pourtant la principale source de subsistance de leurs activités. Une rumeur circule vite sur un bug du site. Personne pourtant n’arrive vraiment à savoir ce qui ce passe. Malgré les heures passées au téléphone avec la DGFIP à Melun, le SIE à Meaux, le centre régionale de Saint-Denis… personne n’est fichu de me dire qui traite les demandes et pourquoi j’ai essuyé un refus. Les courriels restent sans réponse. En direct ou via le site des impôts, c’est le même régime. Silence radio. À ce jour d’ailleurs, ma première demande d’info via le site des impôts est toujours «en cours de traitement par la DGFI». Le temps presse pourtant. Car il existe un deuxième volet régional au fond de solidarité, de 10 000 euros également, qui dépend de l’obtention de l’aide initiale. La demande pour novembre ne peut être faite au-delà du 31 décembre. Je n’ai pas réussi à avoir de réponse avant la date fatidique. 10 000 euros d’aide perdus. N’y tenant plus et la situation devenant critique, j’ai fini par publier la semaine dernière sur Facebook un post pour demander qui avait une idée des services qui géraient les demandes de fond de solidarité. Une personne bien intentionnée m’a très vite répondu et m’a alors expliqué. Je tiens ici à la remercier vivement de son aide.
La demande de report de la CFE a entraîné un examen du dossier, qui a entraîné une situation de dette fiscale qui a entraîné le blocage des aides… La solution ? Demander aux Service des Impôts des Entreprises un échéancier sur l’ensemble, au maximum sur un délai de 6 mois, et verser la première échéance pour obtenir le déblocage des aides. Cette réponse, j’aurais dû la recevoir mi-décembre d’un des nombreux services que j’ai contacté par tous les moyens disponibles. Rien.
Mais voilà. N’ayant perçu aucune aide depuis novembre, la situation du compte est critique. Nous dépassons notre facilité de caisse de plus de 10000 euros. Après avoir échangé plus de 45 fois avec les impôts en 2 jours sur le sujet, je dois donc convaincre la banque de laisser passer cet ultime virement qui pourrait éventuellement nous permettre de remonter la pente et d’éviter un crash imminent. Nous sommes mardi fin d’après-midi. Une dernière grâce nous tombe dessus. Contre toute attente la banque accepte. Le virement est prodigué aux bons soins du fisc en urgence.
Depuis mercredi matin plus aucune nouvelle du Service des Impôts des Entreprises…
Mercredi début d’après-midi. Le chargé d’affaire de ma banque m’appelle. Je suis informé, avec regret et milles précautions bien entendu, que nos comptes vont désormais être gérés par le service «grand risque» de la banque. C’est effectif immédiatement. Et comme si cela ne suffisait pas, la banque demande sous 60 jours la résiliation de notre facilité de caisse. Comme me dira ce brave homme qui depuis 3 ans nous a accompagné avec correction, le service grand risque c’est le «croque-mort de la banque. Ils viennent prendre vos mesures pour fabriquer la bière…». L’antichambre de la mort. Nous y voilà.
Jeudi 14 janvier, 10h. La demande d’audience en référé portée par notre bailleur est fixée au 11 février et la demande de report de notre avocat est rejetée. La résiliation du bail et l’expulsion des locaux, même si elles ne seraient pas immédiates, nous pendent maintenant au nez.
Vendredi 15 janvier, 12h40. L’un des deux derniers coordinateurs de l’entreprise m’appelle (nous étions 21 en janvier. Nous ne sommes plus que 5). Un salarié, au chômage partiel depuis avril, embauché en juillet 2019, s’est présenté dans les locaux à 11h alors qu’il n’était pas censé travailler. Après avoir fait le tour des bureaux, il a subtilisé les clés des véhicules et une voiture. Il réclame le versement immédiat de son salaire. Une chose en entraînant une autre, ne touchant plus les aides et le déficit s’aggravant chaque jour qui passe, je ne suis plus en situation de verser les salaires depuis début décembre … Alors que, virtuellement, 28 000 euros d’aides pourraient nous être acquises. Il faudra toute l’après-midi et la soirée, la médiation d’une connaissance commune et la supervision bienveillante de la gendarmerie locale, pour que le véhicule et les clés reviennent, sans dommage et sans décision irréparables. La mise à pied était inévitable. Ce sera sûrement le dernier licenciement auquel je vais devoir procéder. La rage au ventre et le cœur brisé.
Samedi 16 janvier. Il neige doucement dans le jardin. Les flocons recouvrent tout. C’est trop rare dans nos contrées. La cheminée est allumée et le chat joue dans le salon avec le bord du tapis qu’il grignote patiemment depuis des semaines. La maison est chaude et silencieuse. Enfin l’hiver, le vrai. C’est embêtant la neige pour une entreprise de transport. Mais cette année, elle ne posera pas de problème. Alors, je la regarde tomber avec plaisir. Je récupère le courrier de l’entreprise accumulé cette semaine. Une lettre recommandée est arrivée du Tribunal de Commerce. J’ai compris. Mes mains tremblent en déchirant la fine bandelette de papier qui me sépare encore de l’annonce fatidique. Le procureur de la République estime qu’en raison de nos dernières déclarations, de notre situation fiscale et de la perte d’actifs de l’entreprise, nous ne sommes plus en situation de faire face à nos créances. Une audience aura lieu le 8 février à Meaux où la procédure de redressement ou de liquidation sera engagée. Le bourreau sera bientôt armé.
Au mois de février, le 5, si j’ai bonne mémoire, cela fera 10 ans que j’occupe ces locaux. Ce bureau. Quatre années comme salarié. Six comme patron. J’y ai connu beaucoup de joies. Des déceptions. Les attentats de Paris quatre mois après en avoir pris le contrôle nous avaient déjà mis en grand danger. J’y ai travaillé sans jamais traîner les pieds. Entouré d’équipes efficaces et courageuses. Bien entendu, notre métier n’est pas formidable et n’a pas grand chose de valorisant. Nous allons disparaître silencieusement et dans l’indifférence. Le bailleur, débarrassé de nous grâce à la divine surprise du Covid, vendra bientôt les locaux où se dresseront sous peu des appartements modernes. Aucune trace ne subsistera de notre passage. Dans les mois qui viennent, via le bras du liquidateur, je verrai démanteler morceau par morceau l’entreprise que j’ai construite et s’envoler tout ce que j’y avais mis. Il ne restera rien. Pourtant j’ai aimé la communauté de femmes et d’hommes que j’ai animée pendant cette décennie. Aujourd’hui plus rien ne bouge. Figée, l’entreprise n’est plus qu’un désordre de silence mêlé d’inquiétude.
Tout s’effondre. Lentement. Passivement. Du sable qui s’échappe entre nos doigts. Impossible de retenir quoi que ce soit. Tout ce qui est tenté est vain. La folie nous guette. Elle agite les esprits. Elle nous regarde du coin de l’œil nous débattre face à un supplice qui dure et qui dure… sans espoir. Au drame économique s’ajoute l’insupportable drame humain. Longtemps, je vais me demander si quelque chose aurait pu être fait. Longtemps, je vais refaire l’histoire pour comprendre où je me suis loupé. Comment tant de travail peut-il s’effondrer aussi facilement ? La question est vertigineuse. La réponse inatteignable.L’autre question est là désormais. Elle s’est imposée.
Que vais-je faire ? Qu’allons-nous devenir ? Cette question je l’ai évitée soigneusement depuis cet été. Depuis que j’ai compris qu’il n’y aurait pas d’issue. Pour ne pas sombrer, il va falloir y répondre avant que la fin de partie soit sifflée. Encore une minute, Monsieur le bourreau…
Acta fabula est.