Le profil des juges en charge des dossiers politiques sensibles permet de mieux comprendre le fonctionnement d’une justice indépendante, mais dont les protagonistes doivent en réalité beaucoup à leur obéissance ou leur proximité avec le pouvoir politique dans l’avancement de leur carrière.
Les récentes révélations sur les pressions exercées par le Parquet Général dans le cadre des enquêtes sur François Fillon en pleine campagne présidentielle relancent le débat sur l’indépendance de la justice face au pouvoir politique.
À cela viennent s’ajouter les procédures ubuesques à l’encontre de la France Insoumise et les écoutes des avocats de la défense de Nicolas Sarkozy dans l’affaire Bismuth, ou encore le classement sans suite concernant les soupçons de conflits d’intérêt du secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler.
À l’initiative de la France Insoumise, la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire a été créée en janvier 2020 et a pu auditionner plusieurs personnes clefs sur les questions d’indépendance de la justice et de ses moyens.
«Le Président de la République est garant de l’indépendance de la magistrature. Au sens de la Constitution, la justice n’est donc pas érigée en entité autonome, puisque son indépendance est garantie par le chef de l’exécutif. Cela a fait dire à feu le professeur Carcassonne : «Autant proclamer que le loup est gardien de la sécurité de la bergerie». À travers cette expression nous voyons bien que la conception française de l’indépendance de la justice est politique et ancrée dans l’Histoire.
C’est donc un membre de l’exécutif, le ministre de la justice, qui prépare les lois, en surveille l’application, gère la carrière des magistrats, assure leur discipline, propose le budget de la justice au Parlement et décide d’allouer les crédits entre les cours d’appel.
En maîtrisant la carrière du parquetier, l’exécutif pèse consciemment ou non sur la liberté d’action publique des magistrats du parquet. Dans un système qui ne favorise pas l’indépendance, ceux qui en font preuve sont marginalisés».
Audition de Madame Éliane Houlette, ancienne procureure de la République financière devant la Commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire.
L’étonnante Catherine Champrenault
Mise en cause lors de l’audition de Madame Houlette, la procureure générale près la cour d’appel de Paris, Madame Catherine Champrenault, sera auditionnée cette semaine. Elle a été la première femme nommée à ce poste en 2015.
En 1999, elle est détachée pendant un an au cabinet de Ségolène Royal, alors ministre déléguée à l’Enseignement scolaire.
Sa nomination a été organisée lors du voyage de François Hollande en Guadeloupe, les 9 et 10 mai 2015 et auquel participaient Ségolène Royal et Christiane Taubira. Elle était alors procureure général de Basse-Terre, en Guadeloupe et favorite de Christiane Taubira pour ce poste.
L’ex-procureure nationale financière Éliane Houlette a déclaré à la commission d’enquête, qu’en 2017, Catherine Champrenault avait fait pression sur elle dans le cadre des enquêtes sur François Fillon. Le parquet général lui aurait notamment demandé d’ouvrir une information judiciaire contre François Fillon, alors candidat à l’élection présidentielle, et ce alors que les investigations avaient lieu jusque-là dans le cadre d’une enquête préliminaire.
«Lorsqu’une personnalité politique est mise en cause, le contrôle est très étroit. Je l’ai personnellement vécu, avec parfois deux ou trois demandes dans la même journée : demande de renseignements, de synthèses d’auditions, etc… On nous écrivait par exemple : «La presse se fait l’écho d’une perquisition à tel endroit, merci de bien vouloir nous dire avant telle heure les résultats de cette perquisition».
Lien vers la vidéo de l’audition
«J’ai été convoquée au parquet général pour une réunion à laquelle je me suis rendue accompagnée de trois de mes collègues, parce que le choix procédural que j’avais fait ne convenait pas. On m’engageait à en changer, c’est-à-dire à ouvrir une information. J’ai d’ailleurs reçu une dépêche du procureur général en ce sens. Nous avons ouvert une information uniquement pour des raisons procédurales qui tenaient à la prescription.
S’exerçaient donc sur nous un contrôle très étroit et une pression très lourde».
Catherine Champrenault a supervisé les enquêtes préliminaires sur la France insoumise. Elle a justifié la démesure du dispositif policier lors des perquisitions au siège du parti et a critiqué publiquement Jean-Luc Mélenchon pour avoir voulu entrer pendant la perquisition, tandis que la police lui en refusait l’accès.
C’est également sous la direction de Madame Champrenault que le Parquet a classé sans suite l’affaire Kohler, secrétaire général de l’Élysée, et soupçonné de conflit d’intérêts alors qu’il était collaborateur d’Emmanuel Macron à Bercy.
«Les propos d’Éliane Houlette» sur le Parquet national financier «ont jeté un trouble», a déclaré le mardi 30 juin sur France Inter la ministre de la Justice Nicole Belloubet.
Plus qu’un trouble, une question de fond sur la place de la justice dans les institutions françaises et son indépendance réelle face au pouvoir exécutif se pose.