Son credo : l’action, son objectif : la croissance
Dans le long «storytelling» et le «personal branding» qu’il a mis en place depuis ses jeunes années auprès de Michel Rocard puis de Lionel Jospin, Manuel Valls c’est le Tony Blair français. Il a voulu rénover le PS de fond en comble, en proposant même d’inventer un nouveau nom de parti, sans «socialiste». Il s’affirme néo-libéral (lire social-libéral), autoritaire, courtise le patronat et fustige les derniers vestiges idéologiques de la gauche socialiste et progressiste. Son credo : l’action, son objectif : la croissance, son seul juge : les résultats.
Winner
Oublié le Premier ministre, Valls est d’abord un «winner», un super manager, «cost-killer» des temps modernes. C’est une machine de guerre économique, qui se trompe de combat. Croyant, comme son modèle anglo-saxon, en la vertu des marchés pour créer la croissance, il en oublie le but premier du socialisme, celui de la lutte contre les inégalités et pour la justice sociale. Il met en scène sa lutte héroïque contre le Front National, qui ne gagne en puissance que par la perte de la base populaire du PS au profit des extrêmes politiques. Enfin, à l’issue des tragiques attentats de janvier puis de novembre 2015, au lieu de protéger la liberté d’expression, il instaure un «Patriot act» à la française qui réduit les libertés au nom de la sécurité des populations civiles.
Quand Blair invente le «New Labour» il y a 20 ans, c’est avant d’accéder au pouvoir, profitant d’un contexte économique favorable, dans une monarchie de classes où l’État et les modèles de redistribution sociale font cruellement défaut. Il est alors facile pour le New Labour de tempérer une politique libérale et conservatrice par quelques mesures sociales a minima.
L’idée même d’un blairisme à la française est une aberration et une erreur fatale pour le PS, qui est contraint d’accepter cette marche forcée malgré la tentative désespérée des frondeurs de faire revenir l’exécutif à la raison. Certains responsables socialistes ont appelé à plus d’audace et d’inventivité suite à la défaite électorale attendue. Le choix de continuer vers plus d’autorité et plus de dérégularisation d’inspiration libérale prouve que ces appels n’ont pas été entendus.
La troisième voie promise par le blairisme a été un échec national qui a néanmoins instauré la social-démocratie en solution européenne valant programme pour tous. Cette troisième voie, devenue la seule voie possible des élites dirigeantes, est surtout le fossoyeur des idées socialistes en Europe et empêche la pensée créative. Alors que les inégalités ne cessent d’augmenter, alors que la finance casino reste hors de contrôle, rien ne vient remettre en cause le modèle libéral et productiviste de marché pourtant destructeur d’emplois, de lien social et véritable catastrophe sanitaire. Le social libéralisme n’est dans les faits qu’un renoncement, une victoire totale des conservatismes déguisée en progrès nécessaire des idées et des sociétés.
Travailler plus pour rien
«Les différences entre la droite et la gauche sont obsolètes» assuraient Tony Blair et Anthony Giddens dans leur manifeste, tout comme Fukuyama, l’Histoire leur donne tort et le jeu politique entre droite et gauche s’en trouve décalé sur les extrêmes, dans une course populiste aux souffrances des exclus de tous bords où le mensonge tient lieu de programme électoral.
François Hollande avait un mandat de cinq ans pour «le changement», il n’a fait que continuer de creuser un peu plus le sillon dans lequel les sociétés démocratiques européennes s’enlisent, au mépris du bien-être des populations et de l’intelligence d’une nouvelle pensée économique qui enterre le culte de la croissance, le productivisme aveugle et le «travailler plus pour rien».
La crise de la dette sera le tombeau de l’euro
La candidature à la primaire du PS de Manuel Valls est inutile autant qu’anachronique. Tout comme Macron, il est le tenant du «ni droite ni gauche» de Blair et Giddens, tout comme lui, les solutions technocratiques qu’il a à proposer sont datées et peu lisibles dans un monde au bord de la faillite.
Dans le mercato des dirigeants européens, seule Angela Merkel reste en place et se représente avec une légitimité et une chance de victoire en 2017. Si tel est le cas, la crise de la dette sera le tombeau de l’euro. Rien n’a été fait pour alléger le poids de la dette sur l’économie grecque et l’Italie est la prochaine grande nation européenne à tomber malade. Plus que jamais, l’euro est prisonnier de la doxa allemande de stabilité alors que la promesse sociale libérale des dernières années avait joué en faveur de l’assouplissement des règles pour une relance par l’investissement.
À quoi va bien pouvoir servir Manuel Valls, défenseur d’un bilan quinquennal mitigé ? En matière sécuritaire, il sera distancé par François Fillon sur les questions régaliennes et sur son programme libéral, par Emmanuel Macron sur l’économie numérique. C’est pourtant son moment, le voilà candidat à la primaire de la gauche, une drôle de primaire où lui seul a bien sa place, mais sans Macron, le jeu sera inutile. Il a le rôle difficile de fermer la boutique PS, son rêve inavoué depuis des années, et la possibilité de créer dans la foulée des législatives un nouveau parti, où enfin le mot «socialiste» n’aura plus sa place.
Valls candidat, c’est l’assurance que rien ne va changer
Et c’est bien tout le problème, Valls candidat, c’est l’assurance que rien ne va changer. Son bilan est lourd entre le 49.3, les lois liberticides et l’inaction pour les plus défavorisés comme le prouve la loi Égalité et Citoyenneté. Cette loi fut lancée seulement cette année après quatre ans au pouvoir, tandis que depuis 2012, les quartiers et la jeunesse étaient une priorité absolue ou du moins affichée du gouvernement socialiste. La pauvreté explose, on attend toujours une réponse sur la mort d’Adama Traoré à la suite de violences policières, et la gestion au long cours de François Hollande et Manuel Valls a assuré une montée constante du FN et des populismes réactionnaires d’élections en élections.
Peu importe le jeu des egos, Montebourg, Hamon, Macron, Valls. Hé oh ! La gauche, vous êtes vraiment loin des réalités et des urgences politiques de ce pays ! Il aura fallu un Brexit, une victoire de Trump, un Président démissionnaire et un Premier ministre italien viré par referendum pour arriver à une candidature d’un homme politique que sa famille, en grande partie, ne veut plus voir. Malgré les signaux alarmants, Manuel Valls continue de croire aux jeux d’appareil d’un parti brisé, et semble bien mal placé pour incarner les espoirs de la gauche en 2017.