J’ai passé une mauvaise journée mercredi. Une journée de reclus, d’assiégé, repoussant les amis se présentant à ma porte, bombardant de boules de neige les fâcheux qui croisaient dans mes parages. Non vraiment, je ne voulais pas entendre parler des bardes s’étant présentés sur la place du village, avec des chansons qu’ils croyaient toutes neuves, mais que je connais trop bien.
Successivement, dans une belle ordonnance dont les directeurs des médias d’aujourd’hui ont le secret, faisant monter sur la scène leurs vedettes dans des costumes faisant croire au public qu’ils n’avaient jamais été là auparavant, l’ancien ministre Nicolas Hulot et le comédien Vincent Lindon ont fait valoir leur ordre du jour. Et beaucoup de mes amis d’applaudir, de féliciter le rhéteur et l’artiste, de faire des serments et des citations, battant des mains parce qu’enfin, dans notre époque étouffante, des grands quelqu’un parlaient pour eux et disaient les choses qu’il fallait.
Passons sur le fait que, pour l’un, il s’agissait d’un insupportable catalogue des vents. D’un alignement d’une centaine de poncifs, trempés dans un vocabulaire managérial que, personnellement, j’exècre comme s’il s’agissait de la langue même du démon. S’y étaient également faufilées deux ou trois petites horreurs démagogiques, notamment sur la globalisation de la vertu et l’urgence, bien sûr, de s’émanciper des politiques partisanes – on connaît la chanson.
Mais admettons que je suis grognon, pas à la mode et tout ce qu’on voudra, et qu’on pouvait y piocher quelques oracles de fortune cookie, donnant de la couleur à la garden-party. Quelques mots, pourtant. On aura ici l’outrecuidance de rappeler le palmarès du chanteur : animateur de télé, sportif multi-activités de TF1, entrepreneur de shampooing, auteur de brochures à grosses ventes, millionnaire, ancien ministre souriant du victorieux et désastreux président Emmanuel Macron – notre Donald Trump à nous, proconsul juvénile et instable de notre lointaine province d’empire -, proclamateur complice des ordonnances sur le Code du Travail ou la loi Asile Immigration, ainsi que de toutes les autres horreurs et humiliations validées par lui jusqu’à sa démission.
Pour l’autre, il s’agissait d’une drôle de confession, le nouveau moment poignant d’un comédien dont on n’a jamais bien su où il se trouvait réellement, une panouille engagée dira-t-on, pour épater positivement le public et livrer, je veux bien le croire, son cœur mis à nu, après quelques films qui l’auraient réveillé. Soit. Son propos n’avait rien de bien extraordinaire pour ceux qui suivent avec un peu d’attention la vie politique française, mais disons que les bases étaient là, maniérées et candides. Mais on aura quand même, en passant, la même outrecuidance pour le palmarès de celui-là, parce que c’est utile pour «bâtir la confiance» (c’est la mode managériale, on le voit, j’essaye, malgré mon âge, de rester dans le coup), en rappelant son engagement politique bien antérieur à son épiphanie, vécue comme si de rien n’était en une de Mediapart, sous le ravissant déguisement de «voix citoyenne ordinaire» soudain levée, dans les premières tiédeurs de ce drôle de printemps 2020 : amitié profonde avec François Bayrou, soutien affiché de son MoDem, millionnaire lui aussi, puis satellite un peu complexé des vainqueurs des présidentielles suivantes, Nicolas Sarkozy, François Hollande puis Emmanuel Macron, ami chéri de Rachida Dati, la brute politique qui règne sur la mairie du 7ème arrondissement de Paris.
Mais, oui, passons.
Ce qui me turlupine, pour ma part, ce n’est pas leur capacité à opérer en eux-mêmes et pour eux-mêmes une conversion. Cela, je l’ai fait moi-même. Je connais, j’encourage et j’approuve. Ce sont deux choses bien différentes, loin des méfiances entre personnes, deux objections très politiques que j’ai à leur faire à l’un, à l’autre et à tous ceux qui ont entendu leurs appels.
D’une part, les trouvailles dont ils ont truffé ces appels ne sont pas nouvelles. Cela fait des années que de pauvres militants les portent à bout de bras, sous les ricanements et les jets d’épluchures des plateaux de télévision, de leurs copains et de leurs appuis. Les plus sérieuses, les plus charpentées, notamment celles prônées par Vincent Lindon, sont d’ailleurs portées, sous une pluie de calomnies, de mensonges, de coups bas, de méchancetés, par Jean-Luc Mélenchon depuis bientôt vingt ans et par son mouvement La France Insoumise depuis 2016. Mais alors, elles ne trouvaient pas le chemin des oreilles qu’elles ont enchantées hier. J’attends donc les explications de ceux qui étaient sourds et qui, tout d’un coup, ont entendu. Et que l’on ne vienne pas me dire que tout n’était finalement qu’une question de casting : une élection présidentielle n’est pas un concours de Mister France. Mais du coup, je préfère leur donner rendez-vous à la prochaine élection présidentielle pour savoir si, oui ou non, ils seront aussi inconséquents qu’ils l’ont été, pour notre malheur, en mai 2017. Car tel est l’enjeu. En attendant, je ne paye pas ma place pour leur spectacle.
Qu’un animateur de télé et un comédien aient été les seules voix de quelque portée, dans ce moment épouvantable de notre existence, est pour moi l’indice que quelque chose cloche sérieusement dans mon pays
Ce qui m’amène à ma deuxième objection. Je recommande à mes amis, et en l’occurrence à mes proches amis, la plus extrême prudence envers le show-business et ses engagements. Notre époque est empoisonnée de spectacle, de starlettes, de gommeux célèbres, de génies éphémères, d’icônes et de gladiateurs. Mais partout où le vedettariat s’est penché sur le bon peuple, le désastre a été patent. Bepe Grillo est un histrion. Le président ukrainien, un ectoplasme. Donald Trump, une catastrophe. Or tous sont des créatures du showbiz, tous ont promis autre chose, une autre époque, d’autres façons, pour révéler en fin de compte leur vraie nature et leur vrai pouvoir : celui de brasser du vent et d’empuantir l’atmosphère. Car le lieu par eux investi – les affaires publiques, au cœur d’une crise extrêmement grave de l’Occident et des systèmes démocratiques – n’est pas de leur ressort et ne doit pas l’être ; ce serait alors livrer nos nations et nos existences à tout ce qui les dégrade aujourd’hui : l’émotion permanente, le critère de la popularité, la providence de l’individu, l’image souveraine, les amitiés souterraines, la légèreté bourgeoise. Bref, je n’ai aucune confiance dans le vedettariat artistique pour remplacer utilement le vedettariat financier ou technocratique.
Et puis, soyons francs. Je pense vraiment qu’on néglige le niveau d’exaspération, ici bas, envers les créatures d’en haut, ministres, banquiers, chevaliers d’industrie, mais aussi vedettes et créatures audiovisuelles du même monde. À la fin, je suis certain qu’à force d’être humiliés par le showbiz, à force qu’on démontre à la télévision et au cinéma à quel point ils sont moches et bêtes ; à force d’être singés par des belles figures portant de fausses perruques, pétant à table et se tenant mal dans le monde ; à force d’être éborgnés, gazés, mutilés, incarcérés, expulsés, réduits à la misère sociale et au déclassement dans le silence des cœurs purs des premiers rôles ; à force d’être trahis par les faiseurs de promesses en l’air ou les pétitionnaires oublieux ; à force de n’avoir aucun recours pour obtenir justice, ni le vote, ni la presse, ni les arts, ni le tribunal, ni le syndicat, ni la manifestation, ni la pétition, ni le lieu de travail, les gens qui ne sont rien vont finir par trouver les moyens par eux-mêmes, de manière bien peu policée, de renverser une fois pour toutes les trônes, mais aussi leurs bouffons et tout l’orchestre. Tout Hollywood et tout New York n’ont rien pu faire pour Hillary Clinton.
Ne nous faisons aucune illusion : les jolies figures qui apparaissent dans nos écrans sont pour beaucoup profondément haïes, pour leurs ambiguïtés, pour leur frilosité, pour leur inconséquence. Ils ne nous montrent aucune voie, puisqu’ils sont eux-mêmes coincés dans une impasse et que c’est exactement cela qu’ils ont exprimé l’autre jour : ils agitent naïvement leur milieu, comme si celui-ci avait quelque velléité, un jour, de renoncer à son pouvoir.
Non, pour moi tout cela est mauvais signe, très mauvais signe. Je n’ai aucune confiance dans ces hommes. Qu’un animateur de télé et un comédien aient été les seules voix de quelque portée, dans ce moment épouvantable de notre existence, est pour moi l’indice que quelque chose cloche sérieusement dans mon pays. Je refuse pour ma part la dépolitisation des affaires publiques, comme le rappelait à la hache à petit bois, mon ami Alexis Poulin.
C’est le souhait, et le projet, de ceux qui nous tourmentent aujourd’hui : éliminer l’opposition politique, au profit d’une comédie du plaidoyer qu’on a beau jeu, ensuite, d’avoir simplement entendu.
Le blog de Léonard Vincent : En Aparté