Le Monde Moderne a pu s’entretenir avec le photographe Reza, lorsqu’il était au front, au Haut-Karabagh.
Le Haut-Karabagh, région montagneuse du Caucase, est un territoire de 4 400 kilomètres carrés peuplé essentiellement d’arméniens (le recensement soviétique de 1989 montrait que sur une population de 200 000 habitants, la proportion d’arméniens avait baissé à 75% tandis que celle des azéris était de 23%).
En 1991, le Haut-Karabagh décrète son indépendance avec l’aide de l’armée arménienne, l’appui de la Russie ainsi que celui de la République Islamique d’Iran. Sept provinces avoisinantes (à 100% des territoires azerbaijanis) ont été annexées, forçant à l’exil plus d’un million d’azéris.
Cette indépendance n’est pas reconnue par la communauté internationale. Pour mettre fin à des conflits permanents, un cessez-le-feu est conclu en 1994 sous la médiation de trois pays : les États-Unis, la France et la Russie – baptisé «groupe de Minsk». Il instaure entre cette république autoproclamée et l’Azerbaïdjan une relative période de paix.
Relative, car des deux côtés, on se surveille. On se tire dessus de temps en temps.
Le 27 septembre 2020, de nouveaux combats opposent azerbaïdjanais et séparatistes du Haut-Karabagh. L’Arménie, pauvre et chrétienne, a noué une alliance militaire avec la Russie. L’Azerbaïdjan, riche de ses hydrocarbures, chiite et turcophone, fait alliance avec la Turquie.
Au milieu, deux populations qui souffrent.
Dans la nuit du 10 au 11 novembre 2020, un accord de cessez-le-feu total a été signé par le Président de l’Azerbaïdjan, le Premier Ministre arménien et le Président russe, pour mettre fin aux combats.
Loin des ingérences étrangères, chacun tirant sur sa couverture, le photographe Reza, de renommée mondiale et d’origine iranienne, lauréat de nombreux prix (dont le World Press Photo, l’Infinity Award), chevalier de l’Ordre national du Mérite, a appelé à la paix.
Le Monde Moderne a pu s’entretenir avec lui lorsqu’il était au front.
«Je vous écris depuis une voiture qui avance sur des routes défoncées par trente ans de guerre. Durant une dizaine de jours, je me suis trouvé dans les zones libérées ainsi que dans des villes qui n’étaient pas en zone de conflit. Le conflit se passait très à l’intérieur des territoires occupés. J’ai couvert des bombardements massifs sur des zones où les habitants ont été pris comme cibles avec des bombes SMERSH, des missiles balistiques ou des Cluster. Mes photographies on pu témoigner de ces actes contre la population vivant dans les villes comme Ganja ou Barda, très loin des zones de conflits. J’ai été le premier journaliste autorisé à me rendre dans les zones libérées le long de la rivière Aras et de la frontière avec l’Iran. Sans oublier le pont historique de Khudafarin. Ce sont des zones que j’avais couvert en 1992, lors de la première guerre de Karabagh. J’ai été témoin du massacre des populations de l’Azerbaïdjan, surtout dans le village de Khojali, où les forces arméniennes avaient massacré en une nuit 603 civils et plus de mille blessés – essentiellement des femmes et des enfants .
En 1992, l’Azerbaïdjan n’avait ni armée, ni armements. A contrario, les arméniens avaient comme alliés historiques les Russes, donc l’appui de l’armée russe et celui de la République Islamique d’Iran. Sans l’aide de Téhéran, en pétrole, en gaz et surtout en informations militaires fournies par les Gardiens de la Révolution qui venaient en Azerbaïdjan sous le prétexte de «l’aide au pays frère». Ils visitaient les fronts avant d’envoyer les infos aux arméniens. Et puis, il y a eu la tragédie de presque un million de réfugiés, déplacés, chassés de leurs maisons en Arménie. Ils sont partis les mains vides. Le coût total en termes de vies humaines lors de cette première guerre ? 30 000 personnes.
La situation depuis fin septembre 2020 fut presque l’opposé : l’Azerbaïdjan a constitué une armée nationale forte, avec des armes plutôt achetées aux Russes et avec des technologies israéliennes et turques. Quotidiennement, des centaines de camions militaires et de chars, des munitions ont transité via l’Iran jusqu’à l’Arménie, bien que Khamenei avait exprimé le fait que les arméniens devaient quitter les terres azéries.
Tout ceci est éreintant.
Ne fait de mal qu’aux populations.
J’en appelle à la paix.
La guerre, son absurdité totale, la perte des civils, la souffrance de femmes et des enfants, les réfugiés que cela crée…
Depuis la nuit des temps, les origines de toutes ces guerres sont l’intérêt économique (pétrole et gaz en premier lieu) et le nom de Dieu.
Imaginez, nous sommes en 2020 et on n’a jamais tué autant au nom de… Dieu.
Certaines guerres ont donc pour racine l’intérêt pétrolier et, à la surface de la planète, c’est au nom de Dieux divers que tout se joue.
Le temps est venu de construire la paix ensemble. En Azerbaïdjan, les communautés religieuses chrétiennes, musulmanes et juives vivent en harmonie.
Ces histoires mettent la lumière sur cette incroyable diversité de groupes religieux guidés par un désir de partager dans le respect mutuel.
Laissons-les dans cet état.
La Nature, elle aussi, est innocente. Elle n’a pas à en payer le prix.
Quant à nos enfants, la graine à semer en eux est la confiance. La confiance en eux-mêmes, la confiance envers les autres, la confiance dans le monde que nous leur laissons, la confiance en leur capacité à être des bâtisseurs volontaires, poétiques, éclairés et pacifiques du monde de demain.
Cette confiance que nous leur devons au quotidien appelle aussi au respect de leurs droits fondamentaux».
Reza, Haut-Karabagh, novembre 2020