Virginie Cady est notre sémiologue dystopique qui raconte les temps troubles que connurent l’Europe et le Monde au XXIème siècle, période appelée depuis «orwellianoscène». Elle nous explique à chaque entrée du dictionnaire dystopique, le sens perdu des mots courants.
De l’ancien français traïn ou trahin, un train est un convoi ordonné de bêtes ou de gens transportant des marchandises et accompagnant une personnalité pendant son déplacement. L’expression mener grand train date d’ailleurs de cet usage. Tombée en désuétude au cours du XXème siècle, elle retrouva tout son lustre au cours du Troisième Empire, après la Grande Déflagration. L’Empereur menait grand train : sa suite sans fin s’étalait sur les restes de la nationale 7, portant dans ses bagages assez d’ustensiles et de vivres pour nourrir les siens que les privations ne concernaient point. Parfois, le tumulte des fifres faisait lever une paire d’yeux caves et se redresser un corps étique qui, bien vite, se courbait vers sa tâche avant que le coup du contremaître ne lui zèbre le dos. (Ray Vèyé ; Après l’Apocalypse rien ne va plus, 2134).
Il semblerait qu’à partir des débuts du XIXème siècle, le mot train s’applique à un moyen de locomotion motorisé et collectif qui aurait permis, dans un même temps et avec un impact écologique faible, le transport d’un grand nombre de voyageurs sur de grandes distances et ce, à de très grandes vitesses. On trouve quelques traces dans la littérature ancienne de l’existence d’un tel véhicule : Le train, l’automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir aller partout. (Jules Renard, Journal ; 1905). Mais l’authenticité de tels témoignages, sous la plume d’un romancier de la première moitié du XXème siècle, n’est pas avérée.
On suppose néanmoins que le train, pour peu qu’il ait existé, était un assemblage de voitures, sans doute liées les unes aux autres par des cordages ou des câbles métalliques, tirées par une locomotive actionnée par la combustion de carburants fossiles, le tout fixé à des rails qui indiquent sans doute un itinéraire contraint et obligatoire que devait suivre ledit train. Sa vie se déroulait sans fantaisie. Il ne faisait que suivre les rails étroits autrefois dessinés par son père et son grand-père avant lui. Comme eux, il serait chef d’entreprise. Comme eux, il se ferait nommer potentat local histoire de finir au chaud entre notables à l’ombre du Sénat. (P. Likul, Une jeunesse en berline ; 2046).
Les historiens sont d’autant plus divisés sur le sujet qu’il paraît peu probable qu’une invention d’une telle ingéniosité ait pu tomber en désuétude et disparaître de la mémoire collective. Là encore, les avis divergent. Pour les uns, le train aurait disparu en même temps que les énergies qui servaient à le propulser. Tout s’arrêta et se figea dans un silence de mort. Il n’y avait plus une goutte d’essence. Plus un atome de gaz. Plus un boulet de charbon pour mouvoir, tirer, pousser, traîner, ce qui avait autrefois permis à l’Homme de conquérir le monde. Les familles éloignées se perdirent de vue et l’univers se rétrécit à la dimension d’une journée de route. (C. Parissi, Les derniers jours du dernier cheval ; 2123). Pour d’autres, ce sont les abus de l’ultra-libéralisme triomphant de l’ère pré-protoconsulaire qui auraient déclenché la catastrophe. En effet, dans le courant du XXIème siècle, ce que l’on appelait alors l’État aurait renoncé au «Service Public» pour vendre à des entreprises privées ce qui était de son domaine régalien. Rapidement, les entreprises auraient cessé les investissements et les infrastructures se seraient délitées au point de causer un nombre d’accidents croissant qui auraient achevé de détourner le public du train. Pleurs, cris, enchevêtrement de corps martyrisés que perçaient çà et là des morceaux de métal arrachés à l’enveloppe déchiquetée par le choc, appels au secours qui peu à peu s’éteignaient, le spectacle intolérable souillait le jour naissant. (D. Cimet, Les prophéties de l’anguille ; 2034).