Pourquoi Christine Lagarde est-elle si inquiète face à la montée du Bitcoin ? Une question de monopole du pouvoir que le collectif Money Modern vous explique dans ce premier article collaboratif.
La création des technologies Blockchain et afférentes permet depuis plus d’une dizaine d’années de posséder en open source le savoir-faire technologique pour créer des monnaies digitales librement.
Bitcoin, créé en 2009, est le symbole de ce mouvement à l’origine libertarien, devenu de plus en plus le vecteur d’une finance nouvelle, qui veut pouvoir donner une indépendance monétaire, bancaire et financière à chacun.
Ainsi, l’engouement pour ces technologies se développe pas à pas pour se financiariser avec une capitalisation boursière de l’ordre de 1000 milliards de dollars désormais, soit la puissance financière à ce jour d’un état. L’ensemble de cet écosystème qui n’est pas uniforme en terme de philosophie, fait principalement de développeurs technologiques, de financiers hétérodoxes et opportunistes, et d’entrepreneurs, a pu créer une forme d’état financier décentralisé en un peu plus de 10 ans.
Christine Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne propose ainsi une réglementation internationale pour le Bitcoin, et peut-être les cryptomonnaies. Elle déclare le Mercredi 13 Janvier 2021 à la conférence Reuters Next : «(Bitcoin) est un actif hautement spéculatif, qui a mené de drôles d’affaires et des activités de blanchiment d’argent intéressantes et totalement répréhensibles».
Selon Madame Christine Lagarde «Il doit y avoir une réglementation. Cela doit être appliqué et accepté au niveau mondial car s’il y a une fuite, cette fuite sera utilisée».
Il semble ainsi sage d’utiliser l’argumentation du blanchiment d’argent et des affaires non légales, pour faire accepter une réglementation au Bitcoin, au niveau international. Pour autant, nous savons désormais que moins de 1% des échanges de Bitcoin sont désormais liés à des activités de type illégal. En nominal, il va de soi que les premiers outils de blanchiment et d’affaires criminelles au niveau international sont le cash en dollars et en euros. Et le grand public découvre régulièrement des affaires sur les systèmes financiers adossés à l’euro ou au dollar, et sur des montants bien plus conséquents.
«Les transactions illicites ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des activités de cryptomonnaies, soit 1,1 % seulement». C’est ce qu’affirme Chainalysis un des leaders de l’analyse de chaînes de blocs.
Grâce à la transparence inhérente des blockchains, il est facile d’examiner l’écosystème, chaque transaction est enregistrée dans une base de données publique (le grand livre distribué). Avec les bons outils, il est possible de voir quelle est la part de toute l’activité criminelle associée aux cryptomonnaies comme Bitcoin.
Il ne s’agit pas seulement de données lorsqu’on parle de crypto-criminalité. Il s’agit de l’histoire derrière les chiffres, et donc de connecter les transactions de crypto-monnaie à des entités du monde réel, c’est en ce sens que les méthodes et algorithmes mis en œuvre par «Chainalysis Reactor» permettent de contextualiser les données de manière quasi infaillible et d’affiner les types de crimes qui dominent l’écosystème.

Christine Lagarde évoquera-t-elle la guerre en mallettes de cash pour acheter des masques sur les tarmacs lors de la première vague de coronavirus ?
Probablement pas, cela restera entre amis. Alors, si ce n’est donc pas la morale réellement qui motive Christine Lagarde pour encadrer le Bitcoin, qu’est-ce qui pourrait motiver le système financier à moraliser le Bitcoin pour le contrôler ?
Une petite mise en perspective du système financier mondial pourrait être ainsi nécessaire pour comprendre les enjeux en cours avec les cryptomonnaies
Nous vivons dans un monde économique où nous gagnons tant bien que mal de l’argent, les employés sont payés par des employeurs sous forme de contrats de travail et de contrats de services rendus, sous forme parfois de produits, via des clients. Il existe monétairement 3 typologies d’employeurs, les PME dépendantes des banques, les grands groupes dépendants des banques et surtout des marchés, l’état et la fonction publique au sens large, dépendant des marchés et de la dette d’état associée.
Qui régule les marchés et les banques ? Les banques centrales.
Qui régulent les banques centrales ? Des institutions internationales de manière indirecte ou directe, au titre desquelles la BRI (Banque des règlements internationaux), le FMI (Fond monétaire international) et la Banque Mondiale.
Qui contrôle ces institutions internationales ? Les membres des boards de ces organisations.
Qui nomme les décideurs de ces organisations transnationales ? Non, ce n’est pas le suffrage démocratique, mais un processus de cooptation au sein des élites autoproclamées.
Ainsi, l’émergence de l’écosystème des cryptomonnaies est la consolidation d’un système financier indépendant de ces organisations non-démocratiques, selon des règles plus transparentes, même si cet écosystème présente des défauts évidents et différents courants de pensées et de règles de bonne conduite. Notons d’ailleurs que cet écosystème est déjà régulé selon les règles AML (Anti Money Laundering) internationales.
Au travers de la déclaration de Christine Lagarde sur le Bitcoin, les souverains de l’argent nous disent ainsi, nous resterons les souverains du capital, sans concurrence acceptable, car nous sommes le droit, nous sommes le pouvoir, nous sommes l’argent
Même si cette légitimité est possiblement contestable selon l’esprit des lumières et les principes démocratiques.
Comme la machine à imprimer de Gutenberg a libéré l’impression de la pensée au fil des siècles, pour imprimer d’abord uniquement des bibles pour la suite que nous connaissons, les technologies Blockchain libèrent l’impression de l’argent pour tous groupes digitaux ou pas, pour toutes nations, pour toutes organisations.
La question de qui contrôle le Bitcoin, ou l’encadre, pose la question de qui sont les souverains de l’argent, et les tenants actuels du pouvoir monétaire savent, selon les traditions, notamment technologiques, que cela pourrait entraîner leur perte du monopole du pouvoir.
La liberté technologique monétaire, avec ses défauts et qualités, va demeurer un sujet essentiel du XXIème siècle, avec à la clé, un enjeu de liberté individuelle, collective et démocratique essentiel sur les questions de souveraineté individuelle et collective dans notre rapport à l’argent, et la manière de le créer et le définir. Le souverain c’est nous, c’est vous.
Collectif Money Modern