Une chose étonne dans la gestion de la crise sanitaire, c’est le choix de faire appel, avec le minimum de garanties, à des entreprises multi-condamnées pour assurer les solutions médicales ou logistiques. Amendes record pour Pfizer ou Johnson & Johnson, idem pour Mc Kinsey dans des cas de scandales sanitaires de grande ampleur et visiblement rien ne semble affecter la confiance que leur portent les dirigeants, totalement soumis aux conseils et aux conditions des maîtres lobbyistes en chef.
Commençons par Pfizer
La firme américaine est à l’origine du vaccin à ARN messager, prouesse technologique saluée par tous et devrait, grâce à ce seul produit, engranger 15 milliards de dollars de recettes cette année.
Pfizer s’attend par ailleurs à dégager sur ce produit une marge avant impôt de 25% à 30%, selon un communiqué publié le 2 février.
À Bruxelles, la firme emploie de deux à cinq personnes qui peuvent aller et venir au sein des institutions et dépense environ 900 000 euros en lobbying. Et à Washington, les dépenses en lobbying de la firme se montent à 11 millions de dollars pour 2020.
«Notre capacité à agir rapidement et à utiliser les sciences les plus avancées pour aider à faire face aux défis médicaux les plus importants a été mise à l’épreuve par la pandémie de Covid-19», a déclaré Albert Bourla, qui envisage l’avenir avec une «confiance renouvelée».
Confiance renouvelée ? Vraiment ?
Connaissez-vous l’affaire du virus synthétique de Pfizer?
En avril 2010, un jury fédéral américain (US District Court de Hartford) a accordé 1,37 million de dollars de dommages-intérêts à une ancienne scientifique de Pfizer, Becky McClain, une biologiste moléculaire, qui a affirmé avoir été contaminée par un virus génétiquement modifié dans un laboratoire de l’entreprise, puis renvoyée pour avoir soulevé des problèmes de sécurité.
Madame McClain, biologiste moléculaire au laboratoire de Pfizer à Groton, dans le Connecticut, s’était plainte de problèmes de sécurité, y compris dans ses bureaux à côté du lieu des expérimentations biologiques. Elle souffre maintenant d’une carence en potassium qui provoque une paralysie sporadique et temporaire, qu’elle pense avoir été causée par un virus génétiquement modifié utilisé par un collègue.
Le jury a jugé que Pfizer avait violé les lois protégeant la liberté d’expression et les lanceurs d’alerte en lançant des représailles à l’encontre de Madame McClain, qui a travaillé pour l’entreprise de 1996 à 2005.
L’affaire montre les risques auxquels les travailleurs des laboratoires biologiques sont confrontés et l’absence de règles pour les protéger. Becky McClain, a affirmé avoir rencontré de nombreuses difficultés dans ses tentatives de connaître le contenu génétique du virus qu’elle soupçonnait de l’avoir infectée parce qu’il était protégé par le secret commercial.
«Lorsque je me suis opposé à Pfizer dans une bataille juridique en tant que lanceuse d’alerte pour la sécurité dans les laboratoires de biotechnologie, l’immense réseau de relations économiques et politiques de Pfizer était son plus puissant défenseur contre moi et contre la santé et la sécurité publiques.
Becky McClain
Par exemple, la Division de la santé au travail de l’Université de Yale, sans aucune justification pour étayer ses affirmations, a envoyé une lettre à mon médecin indiquant que le lentivirus auquel j’ai été exposé chez Pfizer «est incapable de provoquer des maladies». Quand j’ai découvert cela, j’étais indignée ! Le lentivirus était en effet dangereux ; les preuves publiées plus tard sur le lentivirus ont confirmé que ce virus pouvait infecter les humains et qu’il était conçu pour attaquer les gènes humains. J’ai appris plus tard que Pfizer donnait à Yale une somme substantielle.
Pfizer a infiltré de nombreuses agences gouvernementales et autres structures de pouvoir pour arrêter tous les lanceurs d’alerte. Le seul espoir que nous ayons est d’amener notre gouvernement à nous accorder le pouvoir de riposter. Cette bataille a besoin de plus de soutien public et j’espère que mon histoire pourra inciter les gens à se joindre à nous dans cette lutte.»
Le jugement a été confirmé en appel en décembre 2012.
Selon un panel de trois juges de la Cour d’appel des États-Unis à New York, Becky McClain a prouvé ses allégations selon lesquelles Pfizer «avait agi volontairement, malicieusement ou avec une indifférence évidente» concernant des allégations selon lesquelles ses droits à la liberté d’expression avaient été violés et qu’elle avait fait l’objet de représailles pour avoir soulevé des problèmes de sécurité.
Autre scandale de grande ampleur, celui de la trovafloxacine, médicament contre la méningite
Pfizer a été accusé d’avoir pratiqué un essai clinique sur son antibiotique Trovan (trovafloxacine) en 1996 sur plusieurs centaines d’enfants et nourrissons lors d’une épidémie de méningite et de rougeole dans l’état nigérian de Kano (nord). Le test de la trovafloxacine, médicament contre la méningite sur 200 enfants, avait provoqué la mort de 11 enfants et le handicap de nombreux autres.
Pfizer avait alors affirmé que le Trovan «avait aidé à sauver des vies».
En juillet 2009, après deux ans de bataille juridique, Pfizer et l’état de Kano avaient annoncé un accord à l’amiable de 75 millions de dollar. Cet accord prévoyait un dédommagement de 35 millions de dollars pour les victimes et un arrêt des poursuites contre le groupe américain par le gouvernement de Kano.
Mais les familles des victimes, via le cabinet d’avocats Streamsowers & Kohn, ont rejeté l’offre initiale de dédommagement car les tests ADN menés par Pfizer pour savoir qui avait droit à des compensations n’étaient pas menés de manière indépendante.
Finalement, en 2011, la firme a négocié un accord à l’amiable pour mettre un terme aux poursuites de familles nigérianes qui l’accusaient d’avoir testé son antibiotique sans autorisation sur leurs enfants. Le montant de l’accord n’a jamais été communiqué.
Vous en voulez encore ? Une amende record ?
En 2009, Pfizer a été contraint de verser une amende historique de 2,3 milliards de dollars aux autorités américaines.
Pfizer était poursuivi pour pratiques commerciales abusives concernant un médicament contre l’arthrite retiré du marché pour raison de santé publique, le Bextra et trois autres traitements : le Zyvox (infections bactériennes), le Geodon (troubles bipolaires et schizophrénie) et le Lyrica (troubles nerveux).
Selon les avocats du cabinet Kenney Egan McCafferty & Young : «Pfizer a ciblé des pédiatres et des adolescents pour étendre la commercialisation du Geodon», alors que «la FDA a validé le Geodon pour une population de 18-65 ans». «Pfizer a aussi régulièrement versé des commissions à ces médecins pour enfants pour qu’ils fassent des présentations promotionnelles à leurs pairs sur les bienfaits du Geodon».
La sanction pécuniaire était assortie d’une mesure de surveillance du laboratoire par les autorités américaines pendant cinq années. Les salariés responsables ont été soit sanctionnés soit licenciés, mais Pfizer n’a jamais précisé si ces mesures ont concerné également les cadres dirigeants liés aux infractions qui lui étaient reprochées.
Et concernant le vaccin actuel, Pfizer entend bien réaliser des profits records !
Rappelez-vous, Pfizer et les autres labos s’engageaient, main sur le cœur il y a quelques mois, à vendre leurs potions à prix coûtant. Mais Pfizer estime que son vaccin contre le coronavirus développé avec l’allemand BioNTech pourrait devenir l’un des plus gros «blockbusters» de l’histoire de la pharmacie et entend bien en faire profiter ses actionnaires.
Il est «de plus en plus probable» que le vaccin contre le Covid-19 représentera une source régulière de revenus, comme pour la grippe, avait annoncé le PDG Albert Bourla lors d’une conférence à distance en début d’année, estimant qu’il faudra des rappels réguliers pour maintenir un niveau d’immunité satisfaisant dans l’ensemble de la population et contrer «la menace de nouveaux variants».
Le chiffre d’affaires total en 2021 devrait atteindre 59,4 à 61,4 milliards de dollars, ce qui correspondrait à une augmentation comprise entre 42% et 47%. Ces prévisions de Pfizer sont basées sur l’hypothèse d’une «reprise continue de l’activité macroéconomique et de la santé tout au long de 2021 au fur et à mesure que les populations seront vaccinées contre le Covid-19».
Lorsque les soignants ont pu sortir six doses au lieu des cinq proposées dans un flacon, Pfizer a alors revu ses livraisons à la baisse pour respecter les contrats.
La Commission Européenne n’a rien trouvé à redire, car elle est prise en otage par les capacités de production et les conditions des labos, qui dictent leurs lois sous couvert d’urgence sanitaire absolue.
Les contrats d’achat anticipé de vaccins négociés par la Commission sont en effet particulièrement avantageux pour les firmes de l’industrie pharmaceutique. La recherche et le développement ont été en grande partie financés par des fonds publics et l’Union européenne, tout comme les États-membres assument également le risque commercial et le risque financier en cas de vices cachés !
Un haut responsable de la Commission européenne l’a confirmé au journal Le Monde : «Les entreprises avaient une demande très forte de n’être responsables de rien du tout. Elles voulaient le même genre de clause qu’aux États-Unis». Et dans les deux contrats rendus partiellement publics, on peut lire que les États-membres participants s’engagent «à indemniser et dégager de toute responsabilité» le laboratoire en cas de recours de tiers (une clause appelée «hold harmless clause», art. 14.1 pour AstraZeneca et 1.23.3 pour Curevac).
La Commission européenne a également transféré l’intégralité des droits de propriété intellectuelle sur le vaccin aux entreprises pharmaceutiques. Le propriétaire du brevet décide donc de la quantité produite et de son prix de vente, rendant les négociations difficiles et les moyens d’action dérisoires de la part de la puissance publique.
Peu importe le passé, aujourd’hui les gouvernements ont une confiance renouvelée en Pfizer et ne dépendent plus que de sa capacité de production de sa potion magique à 19$ la dose. Les affaires passées ont pourtant montré qu’une firme comme Pfizer ne recule devant aucune dépense pour faire valoir ses intérêts commerciaux et est prête à faire taire tous les lanceurs d’alerte sur certaines de ses mauvaises pratiques.
Astra Zeneca, Johnson & Johnson, Mc Kinsey et bien d’autres n’échapperont pas à des rappels utiles de leur passé judiciaire et de leurs activités de lobbying.
Dossier à suivre sur le Monde Moderne.