L’affaire Avia suscite de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Accusée par cinq anciens collaborateurs, dans un papier de Mediapart, d’humiliations et de nombreuses remarques déplacées, notamment racistes ou homophobes, la députée LREM subit depuis, un nombre impressionnant d’attaques virulentes sur les réseaux sociaux. Et les appels à la démission pleuvent.
Au point que certains l’affirment : ce «bad buzz» aurait pu remettre en question l’adoption et la mise en pratique de la loi portée par la députée macroniste contre les «contenus haineux» sur Internet. Foutaises : la politique est en plein naufrage.
Il y avait tant de choses à dire
Il y avait tant de choses à dire pour s’opposer à cette dangereuse «loi Avia».
Voilà que la police peut décider seule du caractère «haineux» d’un contenu sur internet et en exiger le retrait immédiat, sans laisser de délai pour s’opposer à une telle décision. Un véritable pouvoir de censure politique déguisé en lutte bienveillante pour la sécurité collective… un scénario digne des livres d’anticipation les plus effrayants, où la liberté d’expression s’effondre sous le joug d’un régime autoritaire, dont la propagande abuse de thèmes rassurants pour imposer sa camisole de force. Orwell, sors de là !
Il y avait tant de choses à dire pour répondre aux macronistes.
En commençant par dénoncer leur pratique en ligne et leurs nombreux trolls et bots envahissant les réseaux sociaux pour menacer, insulter, intimider les opposants politiques. Nous ne parlons pas ici de militants en ligne sous pseudos anonymes. Nous parlons de comptes créés par dizaines et utilisés pour harceler les utilisateurs influents identifiés comme opposants politiques. Autrement dit : voilà que ceux dont la stratégie depuis plus de 3 ans consiste à pourrir les débats en ligne, rendant les réseaux sociaux toujours plus invivables et anxiogènes, se dressent aujourd’hui en défenseurs du bien sur les internets… Orwell, encore !
Il y avait tant de choses à dire pour les combattre sur le fond.
Des arguments construits. Des appels à défendre la liberté d’expression et d’opinion. Clamer son indignation contre un tel coup de force, une telle muselière imposée à tous. Et soulever des interrogations justes :
Quels sont les critères retenus pour définir un caractère haineux ? Sur quelle base la police s’appuiera-t-elle pour mener à bien cette mission ? Et comment s’assurer qu’elle n’abusera pas de ce nouveau pouvoir ?
A-t-on vraiment confiance dans un corps professionnel rongé par des éléments racistes, dont l’un a récemment clamé, filmé à son insu, «qu’un bougnoule ne sait pas nager» ? A-t-on confiance en ceux qui utilisent des illustrations comprenant des symboles fascistes dans des communications de la préfecture de police de Paris ? Souhaite-t-on vraiment qu’il revienne à ces belles âmes de décider du caractère «haineux» ou non d’un contenu en ligne ? A-t-on confiance dans ceux qui ont provoqué, insulté et/ou tabassé (au choix) les manifestants de contestation sociale dans le pays depuis 2 ans et demi, pour remplir une tâche si importante et jouir d’un pouvoir de censure de l’expression des citoyens ?
Arrêtons-nous un instant pour imaginer cette loi en application lors du mouvement des gilets jaunes. Aurait-on été informés sur l’ultra-violence policière ? C’est à en douter ! Précisément, cela ne fut le cas que grâce aux images diffusées sur les réseaux sociaux grâce à des journalistes comme Rémy Buisine, Serge Faubert ou Taha Bouhafs.
Imagine-t-on un instant, un seul, que la police puisse décider de la censure d’une vidéo, d’une interview ou d’un reportage diffusé sur une chaîne de télévision ? Évidemment non. C’est pourtant ce que cette loi liberticide acte sur internet.
Alors ? Protection contre les contenus haineux ou grave atteinte à la liberté d’expression ?
La «loi Avia» ressemble plus à une arme de censure du gouvernement et de la majorité macroniste, contre toute diffusion d’image qu’ils ne peuvent contrôler à leur guise. Le monde libéral avait déjà le contrôle des grands médias et de l’information de masse. Voici que les macronistes inventent le contrôle de l’expression citoyenne… Il s’agirait d’arrêter maintenant, Orwell.
Oui, il y en avait, des choses intéressantes à dire !
La société du prêt-à-penser
Mais, l’époque n’est pas au débat. Elle ne glorifie ni les idées, ni les argumentaires travaillés. Elle est celle du consumérisme, qui s’applique malheureusement trop bien au monde politico-médiatique. Tout doit aller vite : les vidéos durent 2 minutes et les textes ne dépassent pas 3 paragraphes. C’est l’avènement des mots-clefs, des idées pré-mâchées. La réflexion doit être simple, basique. L’affirmation a chassé l’interrogation. Les oppositions se font sur la forme, de moins en moins sur le fond. Les nuances sont méprisées et le doute perçu comme une faiblesse, bien que les deux soient essentiels à l’analyse et à la réflexion. Le temps long n’a plus sa place… comme si Rome pouvait se faire en un jour.
La pensée productiviste s’est imposée jusque dans le débat sur la conception de notre société : il faut être efficace avant tout. Comprenez rapide.
C’est ainsi qu’apparaît le syndrome BFM/CNews : les commentateurs ne sont connaisseurs de rien, mais spécialistes de tout. Ils assurent avec force, mais sans argumenter, que le Covid-19 n’est qu’une «grippette», qu’il n’atteindra jamais la France, que les masques ne servent à rien… puis expliquent tout l’inverse 15 jours plus tard. Aucun souci, tant qu’ils le font bien : avec le bon ton, la bonne élocution. N’ayez crainte ! Le flot incessant de nouvelles inutiles et uniquement traitées en surface aura suffi à faire oublier les bêtises dites l’avant-veille.
L’information n’est plus jugée sur son intérêt, mais sur le divertissement que procure sa diffusion. Au Royaume de «l’infotainment», les penseurs se font rares et les agitateurs foisonnent. La société du prêt-à-penser a appauvri le débat. Elle a vidé les mots de leur sens et déplacé l’attention sur le futile… pour rendre l’essentiel ringard.
La politique de bas étage
Terminées, les longues lettres ouvertes pour réveiller les consciences. Finis, les débats pointus où l’art de la rhétorique n’empêchait pas la maîtrise des sujets de fond. Celui de l’entre-deux tours de la présidentielle en 2017 était d’ailleurs d’une tristesse infinie, les jeux d’acteurs des protagonistes comptant plus que leurs idées.
La politique est devenue une fiction triste. Son agenda n’est plus celui des grandes idées, mais celui des drames et des scandales. Les affaires politico-médiatiques les plus récentes en sont les illustrations les plus parfaites :
François De Rugy, traître à EELV, puis traître des «primaires de la gauche», ne tombe pas en désuétude pour son incroyable capacité à retourner sa veste et trahir ses idées pour courir où le vent le porte. Non, c’est son goût du luxe et du homard qui lui fait perdre son crédit auprès de l’opinion. À croire que l’on peut se renier sans jamais rien craindre. Tristesse.
Benjamin Griveaux, l’éphémère candidat du camp macroniste à la Mairie de Paris, obligé de se retirer après qu’une vidéo de son pénis ait suscité plus de curiosité et d’émoi que n’importe quelle problématique sociale dans le pays. Qu’en était-il de son programme ? Personne ne sait. Quelle était sa vision pour la ville de Paris ? Tout le monde s’en fout. Ce qui compte, c’est «la bite à Griveaux» (passez-moi l’expression). Tristesse, encore.
Et voici donc l’affaire Avia, députée porteuse d’une loi liberticide, aux conséquences possiblement désastreuses pour notre démocratie, qui se retrouve jetée en pâture pour des messages certes déplacés, certes condamnables, mais certainement bien moins dangereux pour notre société que son sombre projet de loi. Le buzz est tel que tout le monde ne parle plus que de ça… presque plus rien sur sa loi. À se demander si les macronistes eux-mêmes ne s’en frottent pas les mains !
Le buzz. La petite phrase. La cigarette de Sibeth Ndiaye au moment du retour plateau. Tout est bon pour ne pas parler du fond, des idées et des textes importants. Tristesse : la société du prêt-à-penser a proclamé la politique de bas étage.
LREM paye sa stratégie de marketing politique
Faut-il alors plaindre ces pointures macronistes vilipendées par la presse ? Faut-il regretter ces petits anges partis trop tôt, abattus en plein vol par des scandales où leur vie privée comptait bien plus que leurs responsabilités dans le monde politique français ? Pas vraiment, non.
Car La République En Marche use et abuse de cette politique de bas étage.
En faisant du marketing politique sa première arme, d’abord.
Souvenez-vous de 2016 : Emmanuel Macron lançait «En Marche», son mouvement politique pas encore officiellement reconnu comme machine pour l’élection présidentielle, bien qu’aucun idiot n’ait pu être dupé par l’ancien ministre. Première action des marcheurs ? Réaliser de gigantesques actions de porte-à-porte, dans toutes les grandes villes du pays, pour connaître les préoccupations des Français. Aucun programme n’est encore communiqué. Aucune orientation politique clairement définie. Comprenez : Macron et ses amis sont allés demander aux électeurs ce que ces derniers voulaient entendre dire.
Toute la stratégie macroniste est une application bête et méchante des pratiques marketing.
Vous voulez vendre un smartphone ? Demandez ce que les utilisateurs attendent d’abord ! Écran plus large, batterie plus performante, clavier moins sensible… Et sortez le joujou de leurs rêves, à coup de campagne publicitaire efficace. Carton assuré !
En Marche n’a pas vendu de smartphone, mais ils ont vendu Macron de la même façon.
Le candidat n’a pas convaincu les Français. Il n’a d’ailleurs pas même cherché à le faire. Mais il les a séduit. Subtilement, intelligemment. Sa conquête du pouvoir ne fut pas d’exposer des théories, des idées, des solutions, et d’en démontrer le bien-fondé. Elle ne fut pas plus un combat pour faire vivre un courant philosophique plutôt qu’un autre. Non, Emmanuel a fait du marketing. Ni plus, ni moins. Étape 1 : demander aux gens ce qu’ils veulent. Étape 2 : communiquer (avec l’aide des grands médias nationaux) sur ces sujets sans relâche.
Alors bien sûr, tout cela est efficace pour conquérir le pouvoir. Séduire un électeur est rapide, surtout lorsque les deux présidents précédents furent incapables de se présenter à nouveau face aux français. La débâcle est telle qu’elle laisse les français dans le doute. Gavés du monde politique, gavés des magouilles, gavés des promesses non-tenues. Macron a su récolter les fruits du désamour des français pour le système politique.
Oui, mais voilà : aussi vite qu’il a su les séduire, Emmanuel Macron a déçu les français.
Il leur avait promis un nouveau monde politique ? Son gouvernement n’est composé que de membres des anciens partis au pouvoir, PS et LR.
Il leur avait promis «une chance pour tous» ? Jamais les inégalités n’ont été aussi fortes.
Il leur avait promis «un barrage au FN» ? Le voici applaudi par les lepénistes sur sa politique migratoire, et à deux doigts de réhabiliter Pétain.
Il leur avait promis une «révolution» (le titre de son livre publié en 2016) ? Jamais un président n’a autant abusé des symboles monarchiques et instauré un régime aussi autoritaire.
Etc, etc… Les promesses s’écroulent sur la réalité de son action dès les premiers mois de son mandat.
Et bien sûr, séduire n’est pas convaincre. Cela n’entraîne ni le même engagement, ni la même confiance auprès des électeurs. Alors cette dernière s’effrite, et finit par s’écrouler. Pas convaincus, les français se sentent trahis. Les mouvements sociaux s’enchaînent, les gilets jaunes se forment, puis tiennent de longs mois dans les rues. Et la réponse du pouvoir est toujours la même : la violence.
Non, La République En Marche n’a convaincu personne, ou presque. Non, Macron n’a jamais été sur le combat des idées pour mener à bien son quinquennat. Il est le roi de la petite phrase, de la provocation aux éléments de langage. Il est le Président de l’apparence, des vieilles idées libérales dans un costume neuf (et cher).
Par ce fait, il est l’un des principaux architectes de la politique de bas étage. Il n’est certes pas le seul.
En méprisant le fond pour accéder à l’Élysée, les macronistes ont demandé aux français de leur faire confiance sur la forme. Le strass et les paillettes. Les affaires de Rugy, Griveaux ou Avia ne sont finalement que le prolongement de cette mécanique : celle-ci est grippée par son défaut de conception.
Redonner à la politique ses lettres de noblesse
Alors que faire, face à cette politique en plein naufrage ?
Regarder le bateau sombrer sans broncher ? Se lamenter face à tant de médiocrité ? Blâmer les citoyens français comme étant responsables de mauvais choix électoraux ? Certainement pas.
Il faut reprendre le goût de la Politique avec un grand «P».
Celle qui sert «la vie de la Cité». Celle où les idées s’affrontent sans cesse, puisque tel est le sens de la démocratie. Celle où les penseurs sont indispensables à l’évolution des théories politiques, qui intègrent la réalité du monde actuel dans leurs diverses réflexions et dans leur grille de lecture. Celle où la voix du peuple n’est ni contournée, ni méprisée, comme c’est le cas trop souvent aujourd’hui. Celle où les élus sont les représentants des citoyens et de leurs intérêts. Où l’intérêt général est une boussole pour fixer les objectifs, et non un problème central qu’il faut trahir et contourner sans cesse.
Il faut reprendre le goût des sujets de fond.
Accepter que tout ne soit pas court, rapide, efficace. Que tout ne soit pas simple. Que quelques éléments de langage imaginés par des esprits brillants ne suffisent pas à invisibiliser ou à rendre acceptable toute la misère du monde. Que scruter Twitter une demi-heure ne permette pas de comprendre les enjeux du monde et son actualité.
Il faut permettre le doute. Chercher les nuances. Il n’est rien de plus faux et de plus dangereux que la vision d’une société manichéenne, dans laquelle la vérité peut s’affirmer aisément… celle-ci réside souvent dans une multitude de critères, du temps qui passe aux expériences infructueuses, des découvertes scientifiques aux grandes inconnues de notre temps.
Face à la crise du Covid-19, l’idée d’un «monde d’après» s’est imposée dans les esprits et les débats. Puisse-t-il être celui du retour à l’essentiel.
Bastien PARISOT
@bastienparisot